Il voulait construire un nouveau monde. Socialiste engagé dans la lutte pour l'égalité, plein d'idéaux, progressiste, il a laissé sa trace partout dans Bruxelles. Pourtant, peu le connaissent. Non, ce n'est pas Victor Horta. C'est son élève, son successeur, son fils spirituel. Il nous a laissé un patrimoine remarquable. Voici son histoire.
Maxime Brunfaut, l'architecte du peuple
Une conviction : le progrès social
Plein d’idéaux, il pensait pouvoir changer le monde grâce à l’architecture. Il avait l’intime conviction que construire pouvait radicalement modifier l’ordre établi, et en organiser un nouveau basé sur des principes d’horizontalité et d’égalité des chances. Mais en 2003, c’est la tête pleine de désillusions qu’il s’en est allé. Cet homme au fort caractère, dévoué à sa cause, a rejoint les autres défenseurs de ces idées de gauche, alors que la société a évolué dans une toute autre direction. Cet homme, son petit-fils Victor, lui-même architecte, le garde en mémoire. Il s’en souvient guettant son arrivée à la fenêtre de l’appartement de Laeken. Il se souvient de la clarté de ses idées et de la précision de ses arguments quand il défendait ses positions. Il se souvient d'un impossible dialogue avec un grand-père dont l’idéologie primait même sur les les liens familiaux. Grâce à Victor Brunfaut, lui-même devenu architecte comme les trois générations paternelles le précédant, nous vous racontons la vie de ce grand architecte.
« Je me souviens qu'on m'a dit de Bon-Papa qu'il mangeait les os de la viande. Il en est bien capable. »
C’est en 1909 à Schaerbeek que naît Maxime, fils de Fernand Brunfaut et de Louise Moreau. Il grandit dans la maison familiale de Laeken, entre les ateliers et bureaux de son père et de son oncle.
Le jeune Maxime évolue dans un milieu où l’architecture est partout. Que ce soit par son oncle, Gaston, qui travaillera au développement des logements sociaux et des infrastructures médicales, ou par son père qui a étudié aux Beaux-Arts de Bruxelles et fut brièvement stagiaire de Victor Horta, l’architecture est la pierre angulaire de cette famille. Son père se lance néanmoins plus tard dans une carrière plus politique qu’architecturale et deviendra conseiller communal à Laeken, puis à Bruxelles lors de la fusion de Laeken avec la Capitale. Il plaidera toute sa vie pour un logement décent pour le peuple, réalisant des cités sociales novatrices pour l’époque, censées sortir les classes populaires des taudis du centre de Bruxelles, ainsi que des cliniques, pour offrir à tous des traitements de qualité en rationalisant l’organisation des soins.
L’engagement politique est pour eux une caractéristique familiale essentielle et le milieu petit bourgeois dont la famille est issue est propice à une ascension dans la société. Son père est convaincu que les excès du 19ème siècle, riche en inégalités, sont à bannir. L’architecture doit revenir à des formes rationnelles et utiliser l’ornement quand il est utile, alors que le siècle précédent visait souvent l’esthétisme pour seul objet, sans aucune préoccupation pour le prolétariat qui vivait encore dans l’insalubrité et dans des logements les plus simples. Fernand Brunfaut veut utiliser l’architecture pour rendre la société plus égalitaire.
Maxime étudiera lui aussi aux Beaux-Arts, manquant de quelques années l’ouverture d’une école novatrice et radicalement différente de tout ce qui se faisait à l’époque, La Cambre. Il est diplômé en 1929, après avoir suivi, comme son père avant lui, les cours de Victor Horta. Fort de caractère et ambitieux, le jeune architecte talentueux travaille aux côtés de son père, imposant petit à petit sa vision des choses et ses choix artistiques. La famille habitera et travaillera plus tard à Meise, dans une maison pourvue d’ateliers, dessinée avec son père, aux côtés de sa première épouse, Emilienne Steux, militante féministe et syndicale. Ils finiront par revenir à Laeken dans un nouvel immeuble construit par Maxime.
L'apothéose : le sanatorium
Entre 1934 et 1937, Maxime Brunfaut se lance dans la réalisation de l’œuvre qui marquera le plus sa carrière. La compagnie d’assurances de la Prévoyance Sociale lui commande un bâtiment magistral, le sanatorium de Tombeek, un village de la commune d'Overijse au sud de Bruxelles. Les sanatoriums étaient des établissements médicaux destinés au traitement des tuberculeux. Au début du 20ème siècle, cette maladie fait rage, particulièrement chez les classes ouvrières. En effet, la tuberculose est hautement contagieuse et la promiscuité dans laquelle vivent les plus pauvres est propice à la contagion. Les seuls traitements alors efficaces sont les cures d’air, de soleil et de lumière, ainsi que l’isolement afin d’éviter la propagation de la maladie. Les sanatoriums se doivent donc d’être lumineux et aérés. Mais à l’époque, ce sont surtout les plus riches qui savent en bénéficier et l’initiative de construire un sanatorium pour les moins aisés est novatrice.
Maxime est accompagné par son père pour la réalisation du bâtiment, mais mène principalement le chantier seul, avec un budget presqu’illimité alloué par la compagnie. Une aubaine pour l'ambitieux Maxime qui n'a alors que 25 ans. Carreaux de céramique et larges surfaces vitrées viennent habiller l’énorme structure de béton construite sur une colline en à peine 13 mois, temps record permis par ces techniques de construction nouvelles. Horta saluera le travail de Brunfaut. Comme l’explique Johan Wambacq, auteur d’un livre sur le sanatorium, le bâtiment tout en horizontalité symbolise l’égalité qui devait régner entre les classes sociales. Ouvert en 1937, il accueillera des malades pendant 50 ans, avant d’être abandonné à la fin des années 80, alors que la tuberculose disparait progressivement. Transféré de propriétaire en propriétaire, le domaine reste abandonné pendant 30 ans, avant d’enfin connaître une nouvelle vie comme maison de repos de luxe. Un bâtiment initialement destiné au plus grand nombre qui finit dans les mains d’une riche minorité, une hérésie selon le petit-fils de Maxime Brunfaut. On remarque néanmoins que la maison destinée au médecin-chef du sanatorium est restée abandonnée et n'a pas fait l'objet d'une rénovation. Elle reste sur les lieux comme le témoignage d'une longue période d'errance pour le bâtiment porte-drapeau de sa carrière.
Les transports, l'autre carrière
Alors que la guerre vient bientôt perturber les activités des Brunfaut, ceux-ci se réfugient en France et Maxime entre dans la résistance. Les temps sont durs pour la famille mais à la fin du conflit, elle retourne en Belgique et reprend ses activités. Fernand Brunfaut est alors pleinement investi dans la réalisation de la jonction Nord-Midi. Ce projet vieux de plusieurs décennies vise alors à créer un tunnel de 3,8 kilomètres censé relier la gare du Nord et la gare du Midi qui accueillent alors chacune d'importantes liaisons vers la France, les Pays-Bas, l’Allemagne et l’ensemble du Royaume de Belgique. Les deux gares n’étant pas reliées, les correspondances sont longues et il devient impératif de rejoindre les deux, en créant une halte centrale au milieu de la jonction, qui matérialisera la puissance du réseau ferré belge.
Les combats ayant interrompu tous les travaux, l’ensemble prend du temps à être réalisé, et Victor Horta, qui a dessiné la gare Centrale, meurt en 1947, laissant derrière lui le chantier en cours de la nouvelle station. C’est Maxime Brunfaut qui, par ses contacts privilégiés avec les pouvoirs politiques en place à l’époque, se verra confier la tâche de terminer le projet. On lui doit une bonne partie de la réalisation de l’intérieur de style Art Déco et moderniste. La gare est inaugurée en 1952 en même temps que la jonction, ainsi que deux autres gares intermédiaires, Bruxelles-Chapelle au Sud, et Bruxelles-Congrès au Nord. C’est également Maxime Brunfaut qui réalise l’impressionnant bâtiment de la dernière. En réalité, l’extérieur décoratif ne sert qu’à cacher une tour d’aération haute de 25m, qui permet de renouveler rapidement l’air présent dans l’ensemble du tunnel de la jonction.
L’engagement de Maxime Brunfaut dans les constructions dédiées aux transports est prolifique dans cette ère et il est de tous les projets. Alors que le centre de Bruxelles a été ravagé par les travaux de la jonction qui ont éventré le cœur de la capitale, l’heure est à la reconstruction. Il participera à 5 projets dans ce cadre. Un de ces projets, à proximité directe de la nouvelle gare Centrale, est l’Air Terminus. Ce bâtiment constitue le nouveau siège de la compagnie aérienne nationale aujourd'hui disparue, la Sabena. Dans l’édifice tout en longueur et en courbes, dans un style similaire au sanatorium, on retrouve des comptoirs d’enregistrement. Un concept novateur pour l’époque, les passagers peuvent alors s’enregistrer pour leur vol, et descendre via un couloir dédié directement de l’Air terminus à une voie réservée de la gare Centrale, où le train les emmène directement à l’aéroport de Zaventem.
C’est d’ailleurs également Maxime Brunfaut qui réalisera pour l’Exposition universelle de 1958 la nouvelle "Aérogare 58" à Zaventem, faite de verre et d'acier, avec vue directe sur les pistes, qui a été aujourd’hui transformée en un large espace dédié aux évènements, le SkyHall. L’Air Terminus, lui, a été transformé totalement et accueille aujourd’hui des bureaux et un bar à bières branché. On notera également la réalisation par Maxime Brunfaut de la cité sociale Germinal à Evere en 1951. L’ensemble de maisons avec jardins et petits immeubles accueille alors du personnel de la Sabena qui travaille dans les locaux techniques à l’aérodrome de Haeren, qui fermera quelques années plus tard. La cité Germinal a aujourd’hui gardé son caractère de logement social.
Un architecte au service du parti
Après ces réalisations dédiées aux transports, Maxime, toujours proche des cadres socialistes, reçoit la commande du nouveau siège du Parti. Très différent au niveau stylistique, l’édifice du Boulevard de l’Empereur, réalisé en 1964, rappelle le rouge, symbole de l’idéologie et le verre qui laisse entrer la lumière, que l’on retrouve toujours dans les créations de Brunfaut.
Sa proximité avec les mouvements syndicaux lui permet également de réaliser le siège de la CGSP, syndicat socialiste de la fonction publique. Nommé « la Maison des Huit Heures », en mémoire d'un combat historique du syndicat, le bâtiment situé Place Fontainas suit le style du siège du parti. Ce fut un des projets les plus appréciés par l’architecte lui-même. Ce sont les derniers grands projets que Maxime Brunfaut accomplira au service de son idéologie. Dans les années suivantes jusque dans les années 70, il s'attellera à la réalisation très technique de nombreuses stations du métro de Bruxelles.
Une fin trouble
Après avoir réalisé ces quelques grandes stations de métro telles que Botanique, Parc ou encore De Brouckère, remarquables par la présence systématique d'œuvres d'art dans chacune d'entre-elles, la carrière de Maxime va s'arrêter d'une manière assez brutale. Sa fille, Louise-Hélène Brunfaut, est assassinée froidement par un domestique déséquilibré. Elle était l'épouse du célèbre chanteur wallon Julos Beaucarne.
Il quitte ensuite sa première femme Emilienne, suite à d'autres problèmes de couple. S'en suivra un exil en France, où Maxime tente d'échapper au fisc belge. Il ne reviendra que 15 ans plus tard en Belgique alors que ses petits-enfants, dont Victor, tentent de le recontacter. Après de brèves retrouvailles, il disparaît à nouveau.
Dans les années précédant son décès, sa famille aura encore quelques fois la chance de le revoir, mais Maxime Brunfaut est encore habité profondément par ses idées politiques, proches du communisme. La discussion se fait compliquée et le débat, impossible. L'architecte s'éteint à 94 ans en 2003. Derrière lui, il laisse un patrimoine architectural qui a su évoluer avec son temps, ou quand ce n'est pas le cas, a tout simplement disparu, comme le souhaitait son créateur.