Aux Enhanced Games, l’important, c’est de gagner

Des JO où le dopage serait autorisé. L’idée semble dingue, et pourtant de tels « jeux améliorés » pourraient bientôt voir le jour . C’est du moins le projet d’une organisation soutenue par le magnat de la Silicon Valley Peter Thiel. Près d’un millier de sportifs de haut niveau seraient intéressés.

Depuis des années, les débats sur le dopage professionnel alimentent des controverses, qui questionnent l'éthique du monde sportif. Les cas récents de Paul Pogba et de Simona Halep, suspendus tous deux 4 ans (réduits en appel à 9 mois pour la Roumaine) pour utilisation de produits dopants, ne sont que les derniers exemples en date.

À l’approche des jeux olympiques de Paris 2024 et de sa devise « Plus vite, plus haut, plus fort », un autre événement qui correspond parfaitement au slogan souhaiterait voir le jour en 2024. Si les JO se veulent incarner l'idéal d’une compétition juste et équitable, les "Enhanced Games" promettent de remettre en question ces notions fondamentales. Ces « Jeux Améliorés » admettront les sportifs dopés.

Imaginés par l'homme d'affaires australien, Aron D'Souza en 2023, ils se présentent comme une alternative radicale, défiant ouvertement les normes établies par le Comité international olympique. Loin des contrôles antidopage rigoureux, ces jeux entendent pousser la performance individuelle à son maximum, sans les entraves des réglementations anti-dopage.

Usant d’un vocabulaire inclusif pour ne pas stigmatiser les athlètes dopés, l’organisation tente de normaliser l'usage de substances interdites dans le sport. On ne parle plus de tricherie ou de dopage, mais de « démonstration de science ». Cette stratégie discutable vise à légitimer le dopage sous couvert de progrès scientifique, effaçant les lignes entre performance authentique et tricherie.

L’athlétisme, la natation, la gymnastique et les sports de force et de combat seraient les 5 épreuves de la compétition, initialement prévue pour décembre 2024, mais qui n’a pour le moment plus de date, ni de lieu.

Des contrôles hypocrites ?

Aron D’Souza, directeur des Enhanced Games, dénonce « une hypocrisie » autour des contrôles anti-dopage des compétitions traditionnelles. « Aujourd’hui 44% des athlètes utilisent déjà des produits dopants pour améliorer leurs performances, pourtant, qu’une minorité de ces sportifs se font contrôler positifs. La science est en constante évolution et les dernières substances des plus grands athlètes ne peuvent être détectées par les tests des tournois. Contrôler simplement pour prendre en grippe les sportifs qui auraient ingurgité une substance non autorisée, parfois à leur insu, n’est pas rendre service au sport. Il y a des listes de milliers de substances interdites pour chaque tournoi et les athlètes ne peuvent être au courant de toutes. », affirme-t-il.

Christina Smith, ancienne athlète canadienne, aujourd’hui membre de la commission consultative des athlètes du projet, souligne quant à elle le désir de promouvoir l'innovation, la performance mais surtout la liberté des athlètes. « En tant qu’athlète et en tant que femme, j’ai toujours cru en mon autonomie corporelle. Mon corps, mon choix. C’est pourquoi j’ai décidé de rejoindre les Enhanced Games ».

Concernant la participation des athlètes, les organisateurs ont indiqué avoir reçu un grand intérêt de la part de nombreux athlètes de renommée mondiale : quelques 900 sportifs seraient ainsi déjà intéressés par l’évènement… mais pratiquement aucun n’a encore dévoilé son nom ! « La plupart d'entre eux sont préoccupés par leur fédération sportive et par leur réputation », se justifie Aron D’Souza. « La grande majorité se préparent simplement pour les Jeux Olympiques et nous rejoindront le 10 août, le jour de la fin des Jeux de Paris. Notre plan initial était de vraiment commencer à recruter des athlètes après ces JO ».

Un million de dollars par record

Pour attirer les plus grands sportifs, les Enhanced Games promettent un million de dollars aux athlètes qui briseront un record du monde lors de la compétition. Promesse qui a convaincu James Magnussen, ancien nageur australien du 50 mètres nage libre, qui se déclare ouvertement « prêt à se mettre du jus jusqu’aux branchies ». Le triple médaillé olympique lors des jeux de 2012 et 2016 est persuadé de pouvoir battre le record du monde en moins de 6 mois à condition d’être entouré de bons médecins et d’un soutien médical.

Le financement sera notamment permis grâce à des investisseurs privés en capital-risque, notamment le milliardaire Peter Thiel, connu pour être le co-fondateur de PayPal et pour avoir été conseiller du président des États-Unis, Donald Trump dont il soutenait la candidature.

Peter Thiel et l’organisation dénoncent une mauvaise répartition des gains aux Jeux Olympiques classiques. D’après eux, à peine 6% des recettes seraient réellement reversées aux athlètes. Eux promettent une rémunération « équitable » avec un salaire de base pour tous les athlètes. Le prize pool total et les détails de la structure exacte de rémunération seront annoncés mi-2024.

Condamnation unanime

Les allures de science-fiction et les dangers potentiels ont eu le don d’irriter les acteurs du milieu sportif. Sebastian Coe, président de World Athletics et organisateur des Jeux de Londres en 2012 s’est montré radical quant à la participation d’athlètes à une « connerie ». « Si quiconque est assez stupide pour vouloir y participer, il sera banni et il sera banni pour un bon bout de temps de notre sport ».

Le comité olympique et les organisations antidopage ont rappelé qu’il s’agissait « d’un concept dangereux et irresponsable ». Plusieurs ex-athlètes sont également montés au créneau contre l’encouragement au dopage, dénonçant une compétition injuste et dangereuse pour le corps comme pour le sport.

Les organisateurs ne semblent pas perturbés par ces critiques, et poursuivent leurs discussions pour trouver un lieu et une date pour relever ce qu’ils considèrent comme « un défi sans précédent pour le monde du sport ».

L'émergence possible d’un dopage autorisé soulève des questions profondes sur la direction que prendra le sport dans les années à venir. « L’important, c’est de participer », disait Pierre de Coubertin. Aux Enhanced Games, pas sûr que la célèbre maxime tienne encore.