Les chanteurs, ces nouveaux poètes
Qu’est-ce que la poésie sinon l’art d’évoquer les sensations et les émotions les plus vives grâce aux mots, au sons, aux rythmes, aux harmonies des syllabes ? Avec le temps, la définition standard de la poésie a beaucoup évolué. D’un poème en alexandrins à la prose en passant par le vers, la poésie a fait son bout de chemin à travers l’Histoire et les styles littéraires. La poésie française étant peu accessible au grand public, la chanson devient la nouvelle forme lyrique dont certains auteurs s’emparent au 20ème siècle.

Jacques Brel à Bruxelles : Un peï qui bruxellait
Jacques Brel, ce gamin de Bruxelles, capture très tôt la subtilité des mots mis en musique. Dans ses textes, le vocabulaire est limpide et la syntaxe est simple, mais la beauté des paroles est toujours présente. Pourtant, bien que Brel ait marqué le public comme poète, il ne se voit pas digne de ce statut. Sa chanson, ou plutôt son poème, Plat pays ne le satisfait pas à prime abord. Il la qualifie de poésie bon marché. À ce pays qu’il revendique haut et fort être le sien, il a dédié de nombreux vers. Aujourd’hui, la mémoire des Belges et des francophones est marquée par les descriptions et les ressentis de Brel à Bruxelles, comme dans sa chanson Bruxelles dans laquelle il évoque la place Sainte-Catherine et la place de Brouckère. Lorsque José Artur reçoit Jacques Brel à la radio, en 1961 sur RTF, et lui demande si son cœur continue à battre pour le vieux Bruxelles, le chanteur répond : « Oui, il y a un phénomène quand on écrit des chansons, il y a des mots qui correspondent exactement à un vitrail, à une porte qui s’ouvre, ou un visage que j’ai connu. C’est quand-même toujours un peu le ventre de notre mère enfin. »

Barbara à Bruxelles : La rencontre avec son premier public
S'il y a bien une autre chanteuse qui séduit autant par sa voix que par ses mots, c'est Barbara.
La plus belle histoire d’amour de Barbara est certainement celle qu’elle a entretenue avec son public adoré. Pourtant, en 1950, la dame en noir peine à fidéliser le moindre admirateur. Monique Serf, de son vrai nom, débarque à Bruxelles avec quelques francs en poche, la valise chargée d’espoir, un talent brut entre les mains. Un auteur-compositeur en herbe du nom de Jacques Brel écume, tout comme elle, les cabarets et remarque le timbre de voix particulier de la future Barbara. Une amitié sincère et discrète débute alors et Brel lui offre ses premiers grands textes. Quelques années plus tard, le chanteur la poussera à devenir parolière et lui offrira même un rôle au cinéma dans Franz. Les textes intimes et poignants qu’elle signera tout au long de sa carrière sont une preuve que le Grand Jacques avait raison.
En 1953, elle confie son cœur et convole en juste noces avec un antiquaire bruxellois du nom de Claude Sluys, son seul et unique époux, qui gardait, au crépuscule de sa vie, un souvenir précis de leur rencontre, détaillée lors d'un entretien avec le journaliste Eddy Przybylski : « A la Jambe de Bois , place Anneessens, où je prenais un verre, j'ai vu passer cet étrange personnage, pieds nus, drapée d'un grand vêtement noir et avec de longues boucles d'oreille berbères. Je la trouvais belle. Elle était très ronde. Absolument pas la femme maigre qu'on a connue par la suite. Elle est allée parler au pianiste. Puis elle est partie. Alors, j'ai bavardé avec ce pianiste. Il m'a raconté qu'elle lui avait proposé de l'accompagner sur scène, mais il s'en trouvait incapable. Par contre, elle avait laissé un numéro de téléphone que j'ai pris ». Elle quittera Claude et la Belgique en 1955.

Barbara lors d'une répétition pour le Grand Gala du Disque populaire en 1968
Barbara lors d'une répétition pour le Grand Gala du Disque populaire en 1968

Portrait de Barbara, surnommée la dame en noir, en 1965
Portrait de Barbara, surnommée la dame en noir, en 1965
Dick Annegarn à Bruxelles : Le plus Bruxellois des Hollandais
Il y a des lieux qui marquent l’esprit. Des villes, des impasses et des places. Dick Annegarn le sait parfaitement. Il est un pigeon urbain, un rat des villes, comme il le dit lui-même. « Je suis né à La Haye, j’ai vécu à Bruxelles, à Lille, à Paris, à Essaouira, avant de me réfugier à la campagne. Les villes sont pour moi mon domicile ordinaire », raconte-t-il dans une interview en 2018 pour France Culture.
Ses pieds chacun d’un côté de la frontière durant ses vingt premières années, Dick est un gamin de Bruxelles et des Pays-Bas. Pour se lancer dans une carrière musicale, rêvant d’opportunités, il s’en va dans la capitale française en 1972. Dick Annegarn allie mélodie et écriture avec brio. Il aime les mots, l’art du verbe et l’oralité. Poète dans l’âme, il crée d’ailleurs en 2002 l’association « Les Amis du Verbe » afin de promouvoir la parole parlée. Très vite, la vie parisienne et l’hypocrisie du milieu musical le lassent. Alors qu’il pense aller retrouver Bruxelles en 1973, il se fait repérer par Jacques Bedos et sort son premier album dans lequel figurent certaines de ses chansons les plus emblématiques dont Bruxelles. Au fil de la mélodie, Dick se remémore quelques petits plaisirs belges, la Foire du Midi et la place de Brouckère.
Symbole d’une capitale internationale, Bruxelles est pour Dick une ville de cœur qui l’a accueilli et qui l’a ouvert a une multitude de cultures et de langues. Cette capitale, qui en 2005 nomme le chanteur Citoyen d’Honneur de la Ville de Bruxelles, est une maison qui l’a apprivoisé. Ses mots sonnent comme une lettre d’amour et de nostalgie dédiée à mademoiselle Bruxelles, comme il l’appelle. Aujourd’hui devenus l’hymne de la ville et de ses habitants, ses vers sont chantés pour célébrer les moments de joie mais également les périodes plus tragiques, comme les attentats de 2016 qui ont frappé l’aéroport de Zaventem et le métro bruxellois.
Les villes sont autant de muses que Dick Annegarn ne cessent d’enjoliver grâce à sa plume. En 2018, il consacre d’ailleurs un album symphonique entier à ces lieux d’inspiration. 12 villes – 12 chansons reprend ses titres dédiés à ces endroits qui l’ont inspiré, comme Coutances, Karlsbad, le blues de Londres et l’incontournable Bruxelles.
