Commission agriculture : 14 eurodéputés perçoivent des subventions agricoles
La politique agricole commune (PAC) subsidie les cultivateurs et les éleveurs européens. À la fois législateurs et bénéficiaires de ces aides financières, près d’un quart des membres de la commission agriculture du Parlement européen s'exposent à des conflits d’intérêts.
Assis dans l’hémicycle en semaine, au volant d’un tracteur le week-end. Parmi les députés qui combinent les casquettes professionnelles, le secteur agricole a la patate. Sensiblement au sein des membres de la commission Agriculture, où sur les 92 élus qui la composent, 15* au moins exploitent une entreprise agricole parallèlement à leur mandat.
Dans certains cas, les revenus issus de ces activités parallèles excèdent ceux qu’ils perçoivent en tant que parlementaires. Au-delà de la pratique, l’origine de ces revenus questionne : quand l’exploitant en formule la demande, ceux-ci se composent partiellement d’aides publiques de la PAC, lesquelles sont régulées et versées par… l’Union européenne.
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*12 eurodéputés subsidiés pour une exploitation déclarée
*2 eurodéputés subsidiés pour une exploitation non-déclarée
*1 eurodéputé non-subsidié pour une exploitation déclarée
(et on a aussi trouvé)
*6 eurodéputés impliqués dans des lobbies agricoles ou actionnaires d’entreprises subsidiées par la PAC
Source : farmsubsidy.org
Juges et parties
« Il est toujours délicat pour un mandataire impliqué personnellement dans son domaine de compétences politiques d’exercer son rôle d’élu en toute indépendance. On ouvre ici la porte à d’inévitables conflits d’intérêts », cadre Philippe Burny, spécialiste de la PAC à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège). Bien que ce risque existe, le chercheur tient cependant à tempérer, rejoint par le juriste et directeur de l'Institut d’études européennes Saint-Louis de l’UCLouvain, Antoine Bailleux : « Ces parlementaires ne sont pas tenus d’observer une neutralité absolue : s’ils sont élus en étant agriculteurs, c’est certainement pour traiter ces matières qu’on les attend au Parlement. »
Le risque de litige s’accentue lorsque des subsides européens de la politique agricole commune atterrissent sur les comptes de ces « agro-députés ». Le code de conduite en matière d'intérêts financiers et de conflits d'intérêts met lui-même en garde, stipulant qu’un conflit d’intérêts survient dès que la position d’un député contient une part de motifs personnels, familiaux, affectifs ou économiques, de façon directe ou indirecte.
Tout le monde ne se fait pas le même blé
Pour minimiser le risque d’interférences entre intérêts personnel et collectif, l’eurodéputé et agriculteur autrichien Thomas Waitz (groupe Les Verts) n’introduit pas de demande de subsides au cours de son mandat.
Alors qu’il est souvent impossible pour un agriculteur de survivre sans ces primes, Thomas Waitz estime que ses revenus parlementaires peuvent largement l’en dispenser. Il est en cela aidé par la taille modeste de sa ferme, qui ne nécessite pas de grands investissements. L’Autrichien regrette l’importance des sommes perçues par ses collègues : « Je trouve que les membres du Parlement européen ne devraient pas être autorisés à percevoir des revenus annexes plus élevés que leur salaire réel de député européen. »
Plafond, répartition et tensions
Depuis 1992, le calcul des montants s’opère selon le nombre d'hectares que possède une exploitation : plus celle-ci s’étend, plus on l’arrose. Pour pallier le creusement des inégalités que ce système entretient, la Commission avait proposé, en 2020, une dégressivité des aides jusqu’à leur plafonnement à 100 000 euros par an et par exploitation. Les groupes des Verts et de la Gauche plaidaient alors pour un plafonnement pur et simple à 60 000 euros dans un amendement, battu en brèche par les autres groupes lors des débats. Résultat : le plafond est finalement fixé à 100 000 euros, et chaque État-membre choisit de l’appliquer ou non.
« Le plafonnement des aides aurait été le principal outil pour aider les agriculteurs, en coupant l’industrie agroalimentaire de flux d'argent public. »
Thomas Waitz fustige spécifiquement l’attitude de tous les députés-agriculteurs qui s’y sont opposés, leur reprochant de voter « pour eux-mêmes ». Selon lui, cela aurait pourtant été « le principal outil pour aider les agriculteurs, en coupant l’industrie agroalimentaire de flux d'argent public ».
Philippe Burny (ULiège) voit lui aussi dans cette hostilité au plafonnement un nouveau signe de conflit d’intérêts. Il généralise : « Le statu quo dans la législation des aides de la PAC imprimé par le conservatisme de la commission est toujours favorable aux plus grandes exploitations. Cet immobilisme porte la voix de l’agro-industrie. »
Des subventions au lobbying
Cette réalité s’ajoute à des questionnements déjà soulevés ailleurs, liés cette fois à l’implication de parlementaires dans le secteur privé agricole. Le député danois Asger Christensen (groupe Renew) apparaît par exemple représentant au sein d’Arla Food, la plus grande coopérative laitière de Scandinavie. Tout en y siégeant et en y déclarant un revenu mensuel de 150 €, il a rencontré à de nombreuses reprises des délégués d’Arla et d'entreprises affiliées, dans le cadre de son mandat européen.
Politico rapporte de son côté le cas de Franc Bogovic (groupe PPE), agriculteur agronome qui exerçait dans le domaine des pesticides. Il enchaîne aujourd’hui les rencontres avec l’entreprise Bayer. Le député slovène, également bénéficiaire des subsides de la PAC, est, en tant que parlementaire, « chargé de modifier le projet de loi sur la réduction des pesticides ».