Le financement du Pacte vert : entre rêves et réalité

Plongée en apnée dans la bulle européenne,
par Thibault Dejace, Léa Nevraumont et Marie-Flore Pirmez

S’il s’agit du plus grand plan d’investissement vers une transition écologique jamais présenté au niveau européen, le Green Deal, ou “Pacte vert”, fait parler de lui depuis sa présentation, le 14 janvier dernier. Et pour cause, il prévoit que l’ensemble des aspects de l’économie du Grand Continent soient réévalués à la lumière de l’urgence climatique. La pierre angulaire du deal : atteindre la fameuse neutralité carbone pour 2050. Près de 1000 milliard d’euros sont en jeu, mais plusieurs questions subsistent : qui va payer la facture ? Et en Belgique, où en est la transition écologique ? Quelles seront les conséquences du Pacte vert pour les citoyens belges qui se sentent si déconnectés des questions européennes ?

Des objectifs à la hauteur de l’urgence déclarée

L’objectif principal de ce plan est d’arriver à la neutralité carbone d’ici 2050 au sein de l'Union européenne. Plusieurs balises sont mises en place afin de réussir cette transition au mieux. Leur but est de promouvoir l’utilisation efficace des ressources en passant à une économie propre et circulaire et d'enrayer le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution. Le tout de la manière la plus juste et inclusive possible.

D’ici 2030, le Pacte vert vise une diminution d’au minimum 55% des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux taux de 1990, une part d’au moins 32% d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique européenne, ou encore des économies d’énergie d’au moins 32,5%. L’Union européenne devra dès lors consacrer 1 à 2% de son PIB à l’économie verte pour investir dans de nouvelles infrastructures, des commandes publiques, la recherche et le développement, la transformation dans les industries… Décrit comme étant « l’Homme sur la Lune » européen, ce plan de politique environnementale ambitieux est réellement transversal et touche à de très nombreux secteurs et compte bien redéfinir le futur du Vieux Continent.

Un montage financier alambiqué

1 000 milliards d’euros sur dix ans, soit 100 milliards d’euros par an. Voilà le budget sur lequel se sont mis d’accord les dirigeants afin d’assurer l’objectif de décarbonation pour 2030 et ainsi, parvenir à la fameuse transition écologique européenne tant souhaitée. Mais pour financer un tel projet, il parait opportun de rappeler que l’Union Européenne possède bien peu de fonds propres sur lesquels se baser. Elle est donc à la merci de ce que les États membres acceptent d’emprunter et de lui donner. Une première pierre dans l’engrenage car, comme toujours, certains veulent et peuvent donner beaucoup, tandis que d’autres ont une marge d’action plus faible.

À l’heure actuelle, cinq grandes sources de financement pour le Pacte vert sont envisagées et débattues au parlement :

  • Le budget européen : la Commission européenne compte contribuer à hauteur de 25% de son budget à la réalisation des objectifs du pacte. Principal canal de financement, et toujours en négociation, le budget européen alloué représenterait une belle enveloppe d’environ 503 milliards d’euros sur dix ans.
  • Les co-financements nationaux : les États membres devront ajouter environ 140 milliards d’euros au pot commun.
  • Des investissements publics et privés : le nouveau programme InvestEU, mis en place par la précédente commission, servirait de garantie et minimiserait les risques pour les investisseurs. Ce programme permettrait de lever 279 milliards d’euros sur 10 ans.
  • La création d’un fond pour la transition juste : fonctionnant par effet de levier, ce fond a pour but de soutenir les pays les plus en retard dans leur transition énergétique. En octroyant 7,5 milliards d’euros à ce fond, l’UE espère mobiliser 143 milliards d’euros sur les dix prochaines années.
  • Les recettes du marché carbone : ces recettes amèneraient sur la table quelques 25 milliards d’euros supplémentaires, à disposition de la transition verte.

En regroupant ces cinq sources de financements, l’UE serait capable de sécuriser le budget nécessaire à la bonne réalisation du Pacte vert. Mais rien n’est gagné au vu de la complexité du dossier et des nombreux secteurs qu’il touche. Alors que le budget européen est en pleine négociations, les pays les plus sceptiques pourraient réussir à faire baisser l’enveloppe consacrée au Green Deal. L’UE doit donc se tourner vers de nouvelles pistes de financements, et investiguer du côté des ressources propres.

The EU long-term budget. Le budget européen à long terme.

La Belgique à la traîne 

Encore très dépendante des combustibles fossiles pour sa production d’électricité, la transition écologique belge s’avère compliquée à mettre en place selon Damien Ernst, professeur en sciences appliquées et chercheur en énergie à l’ULg. D’après une récente étude publiée par le think-tank Ember, la Belgique fait partie des sept pays de l’Union européenne les plus en retard en matière de décarbonation de son électricité. Pire encore, alors que nous sommes supposés réduire nos émissions de carbone de 55% d’ici 2030, celles de la Belgique ne vont faire qu’augmenter durant cette décennie.

 "On aura investi des milliards dans la transition énergétique pour se rendre compte en 2030 qu’on fait moins bien que maintenant."
Damien Ernst

Les réseaux électriques belges seront alors en cinquième position des plus polluants d’Europe dans dix ans. Comme l’explique Damien Ersnt : "On aura investi des milliards dans la transition énergétique pour se rendre compte en 2030 qu’on fait moins bien que maintenant."

Le professeur liégeois déplore aussi un manque cruel de techniciens aux commandes des décisions européennes. "Aucun professionnel du secteur de l’énergie ne croit en l’avenir de l’hydrogène comme vecteur énergétique", regrette-t-il. Certes, il faut une direction politique et celle-ci a été donnée : il faut décarboner. À présent, Damien Ernst recommande l’expertise de véritables professionnels du domaine énergétique afin d’investir ces futurs milliards d’euros de façon intelligente. Car selon lui, dans les termes actuels du deal : "Le Pacte vert, c’est investir sans comprendre.

Il explique une nouvelle fois que la transition énergétique ne se simplifie pas à arrêter d’émettre du CO2, mais à assurer de basses émissions de dioxyde de carbone, tout en maintenant la prospérité du pays. Et c’est là où le bât blesse. Cette transition met en lumière une Belgique à deux vitesses. D’un côté, une région comme le Hainaut aura besoin de davantage de soutien pour parvenir à cette transition, car même si elle ne possède plus de grandes industries polluantes en termes de CO2, la province est dévastée économiquement. De l’autre, la Flandre, et en particulier le port d’Anvers, s’oppose à ces promesses excessives de réduction de carbone, par peur de menacer son tissu industriel, encore assez polluant. Toutefois, sur les 7,5 milliards d’euros débloqués pour le Pacte vert entre 2021 et 2027, 68 millions reviendraient à la Belgique et principalement à la région du Hainaut. 

Quelles sont alors les alternatives possibles ? Pour Damien Ernst, c’est évident, il faut soutenir la filière du nucléaire, travailler sur de gigantesques connexions électriques entre le sud et le nord de l’Europe afin d’apporter du renouvelable bon marché mais aussi favoriser d’autres filières technologiques comme le kérosène vert. 

Les Grands-parents pour le climat manifestent en petit nombre devant le Parlement européen.

Les Grands-parents pour le climat manifestent en petit nombre devant le Parlement européen. Photo : Marie-Flore Pirmez (CC BY NC ND)

Les Grands-parents pour le climat manifestent en petit nombre devant le Parlement européen. Photo : Marie-Flore Pirmez (CC BY NC ND)

Thérèse Snoy, présidente de l'association des Grands-parents pour le climat.

Thérèse Snoy, présidente de l'association des Grands-parents pour le climat. Photo : Marie-Flore Pirmez (CC BY NC ND)

Thérèse Snoy, présidente de l'association des Grands-parents pour le climat. Photo : Marie-Flore Pirmez (CC BY NC ND)

Au-delà du financement, la responsabilisation du citoyen

L’enjeu primordial mais également implicite du Green Deal est de responsabiliser citoyens et entreprises. Une tâche non des moindres, car même si les marches pour le climat ont permis de visibiliser la cause climatique en rassemblant une communauté plus large, au niveau européen, le constat reste le même. Le citoyen se sent plutôt déconnecté des débats et négociations en cours au sein du Parlement européen, même concernant ladite transition verte.

Pour Thérèse Snoy, ancienne femme politique au sein d’Ecolo, aujourd’hui grand-mère et présidente de l’association des Grands-Parents pour le climat en Belgique, il faut aller un pas plus loin que l’acte citoyen. La sexagénaire affirme que le seul moyen de parvenir à un Green Deal ayant du corps est de redonner du pouvoir au politique en le soutenant. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait toute cette semaine, entourée d’autres séniors, malgré quelques difficultés administratives à pouvoir venir manifester. Rassemblés en petit groupe (covid oblige) sur la place du Luxembourg à Bruxelles, les affiches des grands-parents pour le climat encouragent la mise en application d’une taxe sur la spéculation. "L’Europe cherche des moyens pour financer son budget afin de déterminer comment nous allons nourrir les européens pour les sept prochaines années. Une des solutions est actuellement sur la table !", insiste Thérèse.

Illustration : Thibault Dejace (CC BY NC ND)

Illustration : Thibault Dejace (CC BY NC ND)

Illustration : Thibault Dejace (CC BY NC ND)

Illustration : Thibault Dejace (CC BY NC ND)

De son côté, l’activiste et passionnée de politiques européennes Chloé Mikolajczak vulgarise, depuis quelques années, les processus de cette "machine technocratique" sur son compte Instagram. La jeune femme de 27 ans certifie que "l’Union européenne, telle qu’elle est aujourd’hui, ne pourra pas inclure le citoyen". Assez critique sur le système en place, Chloé observe que l’absence d’implication du citoyen européen est également due à un manque de transparence et à l’homogénéité des profils présents au sein des institutions européennes. Des personnes plutôt privilégiées socio-économiquement, avec de surcroit très peu de diversité culturelle ou religieuse.

Toutefois, si l’implication et la responsabilisation des citoyens et des entreprises restent primordiales, elles ne contribuent pas directement au financement du Pacte vert. Alors que faire si le budget ne suit pas ? Comment soutenir économiquement un pacte éminemment complexe, qui repose en grande partie sur les apports nationaux, si en plus de cela les 27 engagent une bataille politique ? La solution serait-elle de s’orienter vers le collectif ? La question mérite d’être posée. 

En juillet dernier, les dirigeants européens s’étaient en effet entendus sur un budget global titanesque pour relancer l’économie du Vieux Continent : plus de 1.824 milliards d’euros sont à rassembler pour le programme européen s’étalant de 2021 à 2027. Une addition salée mais insuffisante selon le Parlement européen. Pour concrétiser ses rêves verts, il demande alors 39 milliards de plus ainsi que la prospection de davantage de ressources propres, comprenez, des financements directs que pourrait dégager l’union. Mais dans ce créneau, les possibilités sont limitées : contributions nationales, droits de douanes, cotisations, ou encore, taxes.

Pierre Larrouturou vient défendre la taxe sur la spéculation au Parlement Européen, le jeudi 12 novembre.

Pierre Larrouturou vient défendre la taxe sur la spéculation au Parlement Européen, le jeudi 12 novembre.

Robin des Bois à la rescousse du Pacte vert

Aussi appelée TTF pour "taxe sur les transactions financières", Taxe Tobin ou encore Taxe Robin des bois, la taxe sur la spéculation propose de taxer chaque transaction réalisée sur les marchés financiers. Il va sans dire que cette fameuse taxe n’en est pas à son premier coup de projecteur. En 2011 déjà, la Commission européenne avançait une proposition de loi pour la mise en place d’une TTF. Mais neuf ans plus tard, le désaccord se poursuit entre les 27, bien que la taxe ait peut-être trouvé son sauveur.

"Si on ne taxe pas la spéculation, le Pacte vert européen est mort", s’exclame l’eurodéputé et rapporteur général du budget Pierre Larrouturou, lorsqu’il annonce sa grève de la faim au Parlement européen. Une démarche plutôt atypique pour un élu, mais l’objectif qu’elle soutient est bien précis : alerter les citoyens sur les coupes budgétaires de l'UE dans les domaines de la santé ou du climat et parvenir à plus de moyens en taxant la spéculation. Pour l’eurodéputé français, il est impensable que même les plus démunis doivent contribuer au financement des services publics en payant de la TVA, alors que les marchés financiers ne sont tout bonnement pas imposés en Europe. Un discours qu’il réitère lors de son intervention en plénière le jeudi 12 novembre dernier. Mais bien qu’elle semble soutenue par une majorité des voix et des tendances – une majorité de 66% au Parlement européen, dans six groupes politiques différents – la taxe sur les transactions financières semble une nouvelle fois être renvoyée au placard. 

Paradoxalement, au niveau européen, cette taxe sur la spéculation permettrait de dégager pas moins de 50 milliards d’euros par an, avec une simple imposition de 0,1% sur chaque action ou obligation achetée. Soit plus que l’ensemble des autres taxes sur la table des négociations. À savoir, la taxe sur les plastiques (avec des recettes estimées aux alentours de 6 milliards d’euros par an), la taxe numérique (5 milliards) ou encore la taxe carbone aux frontières (autour de 3 milliards).

Bien que les débats en plénière aient montré une certaine cohésion sur le chemin à suivre pour arriver aux objectifs du Pacte vert, certains eurodéputés n'ont pas hésité à exposer leurs doutes quant à la mise en place effective de son financement. Comment y arriver sans taxer les Géants du Web ou les transactions financières ? Comment trouver un tel budget si la crise du coronavirus se poursuit ? Ne faudrait-il pas en faire plus avec l’aide du privé et d’autres ressources propres ? Malgré ces quelques questionnements, le parlement a donné son accord en plénière à 471 voix sur les 688 députés votants ce vendredi 13 novembre. Les parlementaires semblent déterminés, même si l'Union européenne ne marche qu'à petits pas vers son continent vert tant rêvé.