Regards de MENA
Récits de rêves et d'exil, par de jeunes migrants arrivés à Bruxelles
Par le biais de ce projet journalistique, nous souhaitions donner la parole aux MENA, ou mineurs étrangers non accompagnés fraîchement arrivés sur notre territoire. En tant que jeunes étudiantes en journalisme, vivant loin des conflits et conscientes de nos privilèges, nous voulions tenter de comprendre leur parcours, mettre en avant les histoires et les rêves de ceux qui ont dû fuir leurs maisons, leurs souvenirs et leurs familles. Dans cette optique, nous avons décidé de nous rendre dans un centre bruxellois pour jeunes réfugiés pour approcher ces jeunes et voir comment ils évoluent dans leur nouvel univers.
Quand nous passons la porte du centre pour la première fois, une des responsables nous propose un deal. Nous animerons les jeunes avec des ateliers créatifs ou sportifs et, en contre-partie, nous pourrons rencontrer les jeunes et recueillir les récits de ceux qui souhaitent nous parler. Il s'agira aussi de respecter l'anonymat de ces jeunes, parfois menacés dans leur pays d'origine.
Nous voilà donc, en plus d'être journalistes, animatrices pendant 3 jours dans un centre de jeunes réfugiés. La responsabilité nous semble immense et dépasse largement le cadre habituel de nos travaux étudiants. C'est pourtant une proposition intéressante : avant d’arriver avec nos caméras et nos micros, nous devons nous immerger dans leur monde et interagir avec eux autour d'activités. Nous acceptons le deal et prenons directement notre rôle très à cœur, en réfléchissant à des ateliers que nous serions en mesure de proposer. Collages, dessins, photographie, football... Lesquelles de ces activités retiendront leur attention ?
De nombreux jeunes se sont prêtés au jeu. Plusieurs ont participé aux activités sans pour autant se livrer face à la caméra. D'autres ont vu dans notre projet un moyen de transmettre une parole qui ne demandait qu'à être entendue. Voici le fruit de ces rencontres.
Première rencontre
Quand nous sommes arrivées au centre, l’ambiance chaleureuse et bienveillante nous a directement frappées. Ce lieu accueille approximativement 60 garçons de 11 à 18 ans. C’est un centre dit « d’observation et d’orientation », ce qui veut dire que les jeunes y restent approximativement 1 mois. C’est souvent le premier endroit où les jeunes arrivés à Bruxelles après un long et arasant chemin exil peuvent bénéficier d'un toit, d'un lit et de repas.
Ici, les couloirs sont emplis de rires et de cris. La musique fuse de partout. Les uns sont sur leurs téléphones à scroller TikTok, les autres jouent au ping-pong dans la salle de cours. Toutes les nationalités se mélangent, sauf durant les activités de l'après-midi quand les Afghans pachtounes préfèrent l'activité cricket, alors que les Somaliens et les Burundais partent jouer au football.
Après quelques minutes dans le centre, plusieurs jeunes sont déjà venus nous accoster, nous montrer des photos de leurs familles, de leurs pays ou encore d’eux-mêmes, posant devant l’Atomium ou d'autres lieux bruxellois.
Au fur et à mesure de nos discussions, certains nous montrent des photos bien plus effrayantes. Un jeune afghan dégaine des images de lui, armé jusqu'aux dents, prêt à en découdre face aux Talibans. Quelques minutes plus tard, le même jeune nous explique que sa famille lui a envoyé, il y quelques jours, une photo de son oncle décédé, tué par les Talibans.
Nous commençons à nous questionner. Sommes-nous assez préparées pour accueillir leurs histoires les plus dures ? Nous sentons qu’ils ont envie de parler et de nous raconter une partie de leur parcours, mais sommes-nous légitimes ?
Pendant la journée, nous comprenons rapidement que ces jeunes sont souvent passionnés par la photo et par les réseaux sociaux. C'est sans-doute bon signe pour notre activité autour du dessin et de la photographie. Nous commençons par leur proposer de faire des portraits les uns des autres, ce qui semble leur plaire et les mettre à l'aise. L'enthousiasme de certains jeunes pour dessiner, colorier, peindre ou tagger nous impressionne. La plupart des jeunes inscrits à notre atelier commencent tout de suite à découper dans les magazines. Quand on annonce le thème du dessin : « Racontez-nous votre histoire », nous remarquons que certains, au fond de la pièce, se sont levés et ont préféré changer d'ateliers. Avons-nous été maladroites ?
Tout le monde n’a pas envie de revivre son passé et de se livrer sur des moments douloureux. Pour certains, se raconter une énième fois, équivaut à revivre le traumatisme.
L'expression artistique permet à d'autres jeunes de dépasser la barrière de la langue qui nous éloigne, pour partager certaines bribes de vécu. Après plus d’une heure, nous voyons que les dessins commencent à raconter des histoires. Nous proposons à ceux qui le souhaitent de parler de leurs dessins face à la caméra. Nous nous isolons à tour de rôle pour les filmer, car nous sentons qu'il est préférable, pour eux, de n'avoir qu'une seule interlocutrice. Pour nous, ce répit entre deux témoignages nous permet de nous recentrer et d'être à nouveau disponibles pour accueillir le prochain récit. Leurs histoires nous chamboulent.
Durant ces partages, nous avons essayé d’être le moins intrusives possible dans le passé de ces jeunes. Nous avons bien insisté auprès d’eux sur le libre choix de répondre aux questions. Après plusieurs interviews, nous sentons que certains jeunes sont complètement bouleversés de se remémorer ces moments de vies.
« Ils nous obligeaient à étudier le Coran. Les femmes ne pouvaient plus sortir.
Les filles ne pouvaient plus aller à l’école. »
Chapitre 1.
Hier,
récits d'exils
Chapitre 2.
Aujourd'hui, récits d'angoisses
En échangeant avec les éducateurs du centre, un sujet majeur revient : le test d’âge. Ce test doit être passé par les jeunes qui attestent qu’ils sont mineurs, mais pour lesquels la Belgique émet un doute. Il suffit donc qu’une autorité émette un soupçon pour que ce test médical soit demandé. Le centre nous explique que ce test est une énorme source d’angoisse, de colère et d’incompréhension pour ces jeunes.
« Les plus grosses bagarres que nous avons eues ici interviennent après la réception des résultats de ces tests, quand un jeune est déclaré majeur ».
En mars 2022, le média indépendant belge Médor a sorti une enquête expliquant que ces tests visant à évaluer l'âge d'une personne reposent sur des critères basés sur une population blanche occidentale. Le centre de référence en santé mentale explique pourtant que « les origines ethniques, le niveau socio-économique et l’alimentation d’un individu influencent sa croissance et donc l’âge de son squelette. » Radiographie de la clavicule, du poignet et de la dentition, ce test serait donc un non-sens quand on sait tout ce que ces jeunes ont traversé.
En pratique, si le test décrète qu'un jeune est mineur, celui-ci peut rester dans le centre et bénéficier de l’aide d’un tuteur. Au contraire, si le test estime qu’il est majeur, le jeune devra quitter le centre, ne pourra pas aller à l’école et pourra être détenu dans un centre fermé et plus tard, être expulsé.
Beaucoup des jeunes que nous avons rencontrés ont dû passer ce test d’âge et ont témoigné de la charge mentale qu’il représentait. Beaucoup ont des problèmes de sommeil, de colères, d'angoisses.
En tant que jeunes journalistes, ces tests nous questionnent. Combien de jeunes de notre âge sont au courant de ce que les MENA doivent endurer après être arrivés en Belgique ?
Durant nos activités dessins, nous avons essayé de créer une ambiance chaleureuse et c’est grâce à la musique que nous avons réussi. Tour après tour, chacun peut mettre une chanson qui représente son pays ou son identité. Tous commencent à danser. Les Afghans viennent nous voir en râlant quand les jeunes somaliens nous font écouter les derniers sons du chanteur Burna Boy. À leur tour, les Burundais viennent se plaindre quand les sons pachtounes envahissent la pièce. Tous sont attachés à leurs racines et à leur culture, mais en discutant, tous se rendent compte de la richesse de ce brassage culturel.
Nous remarquons que nos activités créatives leur ont permis de se livrer, mais qu'ils ont maintenant besoin de lâcher prise et de se défouler. Une autre activité nous vient dès lors en tête : organiser des activités plus sportives pour relâcher la pression par rapport aux témoignages poignants que ces jeunes ont confié.
Dimanche après-midi, nous revenons donc parées pour jouer au football, au cricket et au ping-pong avec eux.
Quand nous arrivons dans le centre, le temps semble s'être arrêté. Comme un dimanche dans toutes les familles, les jeunes se reposent. Si beaucoup sont partis voir des proches ou des connaissances qui résident en Belgique, ceux qui sont restés au centre font preuve d'un calme étonnant. Nous sommes presque de trop dans ces murs. Quand nous arrivons dans la salle de jeux vidéos, quatre jeunes s'étonnent de nous voir.
Le jeune marocain qui nous avait livré son histoire quelques jours plus tôt, vient directement nous voir et nous confie qu'il va se faire transférer vers un autre centre. Nous sentons sa tristesse et nous sommes touchées qu'il nous en parle.
Tout en continuant à jouer, il nous rappelle que le soir même se déroulera le match d'ouverture de la Coupe du Monde au Qatar. Il rêve d'être footballeur. Durant la coupe du monde, le parcours du Maroc lui permet de rêver un petit peu plus. Peut-être est-ce un petit coup de pouce du destin ?
En attendant que leur match virtuel se finisse, nous allons faire le tour des dortoirs pour chercher les jeunes qui veulent venir jouer au football avec nous. Nous partons alors jouer avec les plus vaillants, car il fait froid et la plupart n'ont pas de chaussures adaptées à la météo belge. Beaucoup sont aussi très fatigués et préfèrent s'isoler en restant dans leurs chambres.
Au fil de nos questions et conversations, les jeunes nous livrent ce qu’ils veulent faire plus tard, leurs rêves et ce qu’ils changeraient dans le monde s’ils avaient un super-pouvoir. En arrivant avec nos questions sur leur passé, nous avons réveillé des histoires parfois enfouies très loin. Il nous semblait évident que nous ne pouvions pas repartir avec ces récits, sans regarder vers demain. Comment entrevoient-ils leur futur ?
Chapitre 3.
Demain,
rêves et ambitions
« Je voudrais être pilote mais c’est beaucoup d’années d’études... et je dois travailler le plus vite possible pour envoyer de l’argent à ma famille. »
S’il est compliqué pour certains de se projeter, beaucoup savent ce qu’ils veulent faire et font preuve d’une motivation et d’une énergie débordante. Nous sommes fascinées par la détermination et le positivisme de ces jeunes.
Dans leurs pays ou en Belgique, en famille ou seul, tous rêvent d'un avenir meilleur. Malgré tout ce qu'ils ont déjà traversé et tous les obstacles qu'ils vont encore devoir franchir, venir en Europe est, pour eux et pour le moment, la première étape d'un avenir qu'ils espèrent plus heureux.
L'un d'eux nous dit une phrase qui résonne de justesse. « Le jour où je me sentirai bien, c’est à ce moment-là que je serai capable de réaliser mes rêves ». C'est sans doute ça la clé pour leur permettre de rêver. Leur fournir une situation et un accueil digne, ici, à Bruxelles.