La politique écologique de l’Union européenne

Quand les intérêts politiques et écologiques s'entrechoquent

Depuis plus de 100 jours, le célèbre défenseur des océans Paul Watson était détenu à Nuuk au Groenland. Mais en ce 17 décembre, il a été remis en liberté par la justice danoise.

Cette arrestation, était survenue dans un climat de controverses géopolitiques et environnementales qui soulève des questions importantes sur la criminalisation des militant.e.s écologistes et les contradictions des politiques européennes. La biodiversité marine étant plus menacée que jamais, l'affaire Watson a cristallisé le débat politique au sein de l'Europe : la priorité est-elle de défendre celles et ceux qui se battent pour préserver l'avenir sur Terre ou de protéger les intérêts économiques et politiques ?

Mais qui est Paul Watson ?

Cela fait plus de 50 ans que Paul Watson mène un combat acharné contre les destructions de la biodiversité marine. Fondateur de l’ONG Sea Shepherd, il est l’auteur d'actions de grande ampleur pour empêcher la chasse illégale de baleines et de dauphins, notamment dans des zones protégées par les traités internationaux et le Moratoire mondial sur la chasse commerciale à la baleine, adopté en 1986.

Ces interventions musclées, souvent en haute mer, lui ont valu une notoriété mondiale mais aussi l’hostilité des industries de la pêche maritime et des États qui les soutiennent.

Son engagement lui a déjà attiré des problèmes judiciaires, notamment avec le Japon, où la pratique de la chasse à la baleine persiste sous couvert de "recherches scientifiques". Mais cette fois, Watson a été confronté à une situation complexe. Le 21 juillet 2024, il est arrêté sur le sol européen, à Nuuk, ville côtière du Groenland à la suite d’une notice rouge d’Interpol. Il est accusé de coups et blessures sur un marin du bateau Shonan Maru 2, navire harpon destiné à la chasse aux baleines. Ce marin a été blessé par un puissant projectile contenant de l'acide butyrique.

Watson est également accusé de l'abordage, quatre jours plus tard, du même baleinier. C'est à son bord que l'un de ses alliés, Peter Bethune s'était introduit pour donner la facture de son bateau, l'Ady Gil. Celui-ci avait été en partie détruit le 6 janvier 2010, après avoir été violemment percuté par le Shonan Maru 2.

Bethune a été capturé et jugé au Japon. Sa peine a pu être réduite en accusant Paul Watson, en tant que leader de Sea Shepherd, d'avoir décidé de mener cette opération. Cela a permis au Japon de donner un poids supplémentaire aux plaintes déposées. Le pays nippon a décidé d'également le poursuivre pour le motif de "conspiration d'abordage".

Le Groenland est un territoire autonome du Royaume du Danemark. L'affaire concernait donc un membre de l'Union européenne. Le pays nordique, via son soutien aux pratiques traditionnelles des îles Féroé comme le Grindadrap, semble privilégier des intérêts nationaux et économiques au détriment des engagements écologiques.

Paul Watson a été incarcéré à Nuuk au Groenland pendant plus de 5 mois en attendant de savoir si oui ou non, il allait être extradé vers le Japon pour y être jugé suite à la notice rouge demandée par le pays nippon.

Avis de recherche : Les activistes

Paul Watson n’est pas un cas isolé. Son arrestation illustre une tendance mondiale à la répression et à la criminalisation des militant.e.s environnementaux. En dénonçant les pratiques des industries, destructrices de la biodiversité, ces activistes deviennent souvent des cibles de poursuites judiciaires ou de campagnes de discrédit.

Cette stigmatisation a fait l'objet d'une réelle tension au sein de l'hémicycle du Parlement européen entre les différents groupes politiques. La confrontation entre député.es a parfois prise des proportions extrêmes et virulentes. Siegbert Frank Droese, (ESN, extrême droite) a ainsi qualifié Watson d’"éco-terroriste" au parlement européen à Strasbourg .

(L'audio ci-dessous est issu du système de traduction automatique du Parlement) *

Selon lui, l'activisme de Paul Watson perturbe des économies locales et remettent en cause la souveraineté nationale.

À l’opposé, d’autres figures politiques, comme Yvan Verougstraete, (Renew for Europe, libéraux) rappellent que Watson applique les lois internationales que les États responsables de la destruction de l'environnement ignorent.

Emma Fourreau, (The Left, divers gauches) s'était également rejoint aux déclarations de Verougstraete en précisant : "Que le gouvernement danois l'entende bien: les écologistes du monde entier vous regardent, et ils ne vous pardonneront jamais de jeter l'un des leurs en pâture à un pays qui ne respecte pas les droits de l'homme. Nous ne défendons pas seulement Paul Watson, mais aussi, à travers lui, l'ensemble des activistes écologistes menacés, réprimés, criminalisés en Europe et dans le monde."

Ce clivage a souligné les contradictions de l’UE : comment prétendre protéger la biodiversité tout en tolérant la répression de celles et ceux qui se battent pour elle ?

©Sea Shepherd

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Un silence européen qui dérange

D’origine canadienne, Paul Watson est aussi résident en France et engagé dans une procédure de naturalisation. Il aurait ainsi pu bénéficier d’une protection accrue face aux pressions extérieures. Pourtant, ni Emmanuel Macron, ni Ursula von der Leyen et la Commission européenne ne se sont activement mobilisé.e.s pour obtenir sa libération. Ce silence interroge. L'UE se positionne comme un leader de la transition écologique notamment avec le Green Deal adopté par le triangle institutionnel. Il a été déposé par la Commission européenne et approuvé par le Parlement et le Conseil des ministres en 2019.

L'affaire Watson a cristallisé la primauté des enjeux économiques et diplomatiques au sein de l’Union européenne et des pays tiers comme le Japon. Le Danemark, pivot de cette affaire, a bénéficié d’un soutien tacite de Bruxelles malgré des pratiques controversées en matière de biodiversité marine par son inaction.

Ce paradoxe souligne une réalité : les discours ambitieux de l’UE en matière de climat peinent à se traduire en actes concrets. L'Union européenne se retrouve les mains liées avec notamment le blocage de certaines réformes écologiques par les lobbies européens.

L’Union européenne dispose également de mécanismes robustes pour protéger les défenseurs de l’environnement et les droits humains mais leur application reste difficile et insuffisante.

La protection des lanceurs d’alerte, s’inscrit dans une dynamique européenne renforcée par la directive 2019/1937, adoptée par la Commission européenne. Cette directive a comme objectif d'offrir un cadre harmonisé pour protéger ceux qui signalent des violations graves du droit, notamment en matière d’environnement ou de droits humains.

Elle oblige les États membres à instaurer des mécanismes de signalement sécurisés et à garantir une protection contre les représailles. Supervisée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), cette législation reflète l'engagement croissant de l'Europe en faveur de la défense des droits fondamentaux. Toutefois, au niveau national et européen, la protection des lanceurs d’alerte est inégale et fragmentée. De ce fait, la crainte de représailles dissuade souvent les lanceurs d’alerte de signaler leurs préoccupations.

La détention de Watson a révélé la faible capacité des institutions européennes à protéger leurs résident·e·s et à s'opposer aux intérêts économiques des pays tiers.

Emma Fourreau, députée européenne, s’était exprimée avec virulence à notre micro :

"L’Europe a les moyens de protéger Paul Watson, mais elle manque de courage politique. En le laissant entre les mains d’un système hostile, elle renie ses valeurs et compromet notre avenir."

Aucune pression diplomatique n'a été faite sur le Danemark ou le Groenland malgré des débats qui ont eu lieu lors de la séance plénière au Parlement européen de Strasbourg en septembre dernier. Ce manque de solidarité est particulièrement préoccupant à l’heure où les enjeux climatiques et écologiques nécessitent une coopération sans faille.

©FRANCE 24

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Les baleines et le phytoplancton, notre source d’oxygène

L’affaire Watson dépasse le simple cas d’un militant en détention. Elle met en lumière l’interdépendance entre la biodiversité marine et la survie de la planète. Les océans, qui couvrent plus de 70 % de la surface terrestre, sont essentiels pour réguler le climat et produire de l’oxygène. Les baleines, par exemple, jouent un rôle clé dans cet équilibre.

En se nourrissant et en migrant, elles fertilisent le phytoplancton, un micro-organisme responsable de la production de 50 % de l’oxygène mondial. Or, la chasse à la baleine et la dégradation des écosystèmes marins menacent cet équilibre. Sans baleines, le phytoplancton décline, réduisant la capacité des océans à absorber le CO₂ et à produire l’oxygène nécessaire à la vie. Ce lien fondamental entre la biodiversité et la survie humaine reste largement ignoré dans les politiques publiques européennes, malgré leur ambition affichée de devenir des pionnières en matière de durabilité.

©Nima Sarram - Unsplash

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Un combat décisif pour l’avenir de la démocratie européenne

La criminalisation des militant.e.s écologistes comme Paul Watson n’est pas seulement une injustice : c’est une menace pour l’avenir de la planète. En s’attaquant à celles et ceux qui protègent les écosystèmes comme le fait le Japon, ces États affaiblissent la lutte contre les crises climatiques et environnementales.

L’Union européenne, qui aspire à être un modèle écologique mondial, se retrouve de plus en plus face à la prise de mesures concrètes pour défendre ses valeurs. Le procès de Paul Watson a été un potentiel test pour l’Union européenne et son avenir : choisira-t-elle de protéger davantage les défenseur de la planète ou cédera-t-elle aux pressions diplomatiques et économiques ? L’Europe doit démontrer qu’elle est prête à défendre non seulement ses engagements écologiques, mais aussi celles et ceux qui risquent tout pour les faire respecter. Le tribunal de Nuuk a décidé la non extradition de Paul Watson vers le Japon ce mardi 17 décembre 2024 selon l'avocate de Paul Watson, Julie Stage. Il a quitté sa cellule de la prison de Nuuk où il était en détention provisoire depuis plus de 5 mois en attendant le verdict de la justice danoise.

©Getty Images

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