Survaccination des chatons : retour sur notre enquête

Les vaccins pour lutter contre le coronavirus ne sont pas les seuls à faire parler d’eux. Les refuges pour animaux sont, eux aussi, confrontés à des épidémies. Pour pallier le risque d’infection, chaque refuge détermine son propre protocole vaccinal avec l’aide de ses vétérinaires. Suzy a été piquée six fois. Était-ce réellement pour son bien ?

Un chien observe surveille les va-et-vient depuis sa cage.

Chaque jour, cinq animaux rentrent au refuge. Cinq en sortent.

Chaque jour, cinq animaux rentrent au refuge. Cinq en sortent.

« Et alors ! Votre chat n’est pas mort ! » C’est ce que me répond au téléphone une employée du refuge Sans Collier sur un ton sarcastique. Il est onze heures. Quelques mois plus tôt, en septembre dernier, j’adoptais un chaton de quatre mois. Selon l’animalière du refuge perwézien, Suzy a été trouvée dans une ferme. Elle ne m’apprendra rien de plus. C’est l’heure de la première visite chez la vétérinaire pour Suzy. Ma vétérinaire consulte son carnet de vaccination bleu. Elle s’arrête soudainement, stupéfaite. C’est vrai que six doses, ça semble être beaucoup pour un si petit animal.

Le protocole vaccinal classique pour les chatons n’a strictement rien à voir avec les six doses encaissées par Suzy. Trois vétérinaires contactés dans le cadre de cette enquête sont unanimes. L’un exerce en cabinet, les deux autres en clinique. Seules deux à trois piqûres sont requises. « Le chaton doit recevoir sa première injection contre le coryza, le typhus et la leucose à huit semaines environ. Quatre semaines plus tard, il doit recevoir une injection de rappel. » Concernant les refuges, la recherche d’information est pénible. Après avoir essuyé bon nombre de refus, Gaëtan Sgualdino, président de la SPA de La Louvière répond : « Chez nous, on vaccine une fois à huit semaines, une fois à douze semaines et une fois à seize semaines, sauf si nous rencontrons des cas extrêmes. » Il ajoute que le protocole évolue sans cesse, au fil des années.

Pourquoi Suzy a-t-elle reçu six injections ? Quels sont les enjeux ? Docteur Colmant n’est pas disposé à répondre aux questions. Son nom est apposé à côté des six étiquettes collées dans le carnet de vaccination de Suzy. « Ce n’est pas moi qui ai vacciné le chaton. Appelez Sans Collier, ce sont eux qui déterminent le protocole vaccinal. » Pas de bol, il s’agit du premier constat incohérent d’une longue série. Du côté de l’association, une employée décroche. Un chien aboie à côté de l’accueil, ça raisonne dans le haut-parleur. Il a été adopté. « C’est la collègue du docteur Colmant qui détermine le protocole vaccinal nécessaire puisqu’elle a fait une formation pour le suivi vétérinaire en refuge. »

L’employée de l’association ajoute que les chatons vivent en cage jusqu’à l’âge de trois mois. Elle explique qu’ils sont en proie à « tout ce qui traîne ». Dans la quarantaine, il peut y être entreposé jusqu’à trente cages. Cela justifierait le protocole de survaccination permanent au refuge Sans Collier. Elle insiste, une fois de plus : « On vaccine dès l’âge de six semaines, et ensuite tous les quinze jours jusqu’à l’âge de trois mois. » N'ayant pas de formation médicale, difficile pour moi de juger la pertinence du protocole.

Alors que la fin de l’entretien téléphonique approche, l’employée de Sans Collier précise : « Mais on est le refuge dans lequel il y a le moins de mortalité en Belgique. Les vétérinaires des adoptants qui ne sont pas formés émettent des jugements. Nous y sommes habitués. » Une vétérinaire balaie l'argument : « S’ils s’amusent à jouer au docteur Jekyll et M. Hyde, c’est leur problème, mais pas au détriment des animaux. Et qu’ils ne viennent surtout pas prétendre que c’est pour le bien-être animal. Le système immunitaire a été anormalement stimulé. Plus tard, les chats pourront développer des maladies auto-immunes et des allergies. »

Selon la même vétérinaire, une solution existe pour pallier la survaccination. Le VacciCheck permettrait d’évaluer le statut immunitaire du chat. Par le biais d’une prise de sang, il serait possible de confirmer s’il a besoin du vaccin. « Au final, cela coûte plus cher pour un refuge de payer le dosage d’anticorps que de faire le vaccin. »

Mais existe-t-il une règle qui balise la pratique vaccinale des chatons ? L’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé, plus communément appelée AFMPS, préconise des instructions de posologie. Il s’agit d’une autorité compétente, tant pour l’usage humain que vétérinaire. La notice du vaccin Purevax RCP stipule que la première injection doit être réalisée à partir de huit semaines. Pour compléter la primovaccination, la seconde dose doit être injectée trois à quatre semaines plus tard. Soit deux doses. Pas six. Toutefois, le vétérinaire peut exceptionnellement décider d’aller au-delà des notices puisque tous les cas n’y sont pas prévus.

L'établissement perwézien possède de vastes jardins pour les chiens.

Il y a quatre ans, l'établissement perwézien était inauguré.

Il y a quatre ans, l'établissement perwézien était inauguré.

Une bénévole prend un chat dans ses bras.

Le refuge Sans Collier compte plus de deux cents bénévoles.

Le refuge Sans Collier compte plus de deux cents bénévoles.

Les longs couloirs blancs du refuge ressemblent à ceux d'une clinique.

Les longs couloirs blancs du refuge ressemblent à ceux d'une clinique.

Les longs couloirs blancs du refuge ressemblent à ceux d'une clinique.

Un chat porte une collerette.

De nombreux chats trouvés ou recueillis doivent recevoir des soins.

De nombreux chats trouvés ou recueillis doivent recevoir des soins.

Une bénévole nourrit les chats.

Pour pouvoir être bénévole, il faut nettoyer les 'parcours' et nourrir les animaux trois fois trois heures par mois.

Pour pouvoir être bénévole, il faut nettoyer les 'parcours' et nourrir les animaux trois fois trois heures par mois.

Une bénévole essaie d'approcher un chat.

Certains chats sont sauvages. Les bénévoles tentent de les sociabiliser avant l'adoption.

Certains chats sont sauvages. Les bénévoles tentent de les sociabiliser avant l'adoption.

Un chat est en quarantaine.

Chaque chat passe par la quarantaine.

Chaque chat passe par la quarantaine.

Une dame nettoie une cage.

Des adultes de l'association La Fourmilière à Jodoigne viennent nettoyer tous les mercredis matins.

Des adultes de l'association La Fourmilière à Jodoigne viennent nettoyer tous les mercredis matins.

Suzy n’est pas (vraiment) un cas isolé

Ce mercredi-là, le puits de lumière de la petite salle de réunion du refuge Sans Collier illumine les murs blancs. Sébastien de Jonge entre dans la pièce tout sourire. Le directeur de l’asbl a la dégaine d’un homme d’affaires. En plus d’endosser la casquette de gestionnaire, Sébastien de Jonge est Président de l’Union wallonne pour la protection animale. À ce titre, il est également représentant des refuges pour animaux au Conseil wallon du bien-être animal. En outre, il exerce la fonction interne de Vice-Président d’Arrondissement de Nivelles au sein du parti politique les Engagés. Le personnage est loquace sur le bien-être animal. Lorsque le sujet de la survaccination est mis sur la table, le propos devient imprécis.

« Alors dans les détails. Je vais vite aller demander pour qu’on me le rappelle car nous avons changé les protocoles il n’y a pas longtemps… Aurélie est là ? Ça ne fait pas sérieux mais je fais confiance à mes équipes.» Sébastien de Jonge appelle.
- Oui dis, désolé de te déranger. Le protocole de vaccination des chatons, c’est quoi ? C’est cinq semaines, deux semaines jusqu’à douze, c’est ça ?
- Non, c’est tous les quinze jours à partir de six semaines.
- Six semaines jusqu’à douze ?
- Oui jusqu’à douze, et puis on fait un rappel à quatre mois si le chaton est encore là.
- Ok, ça va. Merci.

Le « nouveau » protocole du refuge Sans Collier témoignerait d'une survaccination puisqu’un chaton de quatre mois reçoit cinq injections. « Le protocole raisonné et raisonnable est de trois doses avec la dernière à seize semaines. En principe, cela ne génère pas de problème lié à l’innocuité du vaccin. Le risque est limité. » Etienne Thiry est professeur de virologie vétérinaire et maladies virales animales à l’Université de Liège ainsi que membre de l’European Advisory Board on Cat Diseases, aussi appelé ABCD. Le groupe d’experts édite des recommandations liées aux bonnes pratiques de vaccination, notamment dans les cas qui sortent des cadres habituels pour que le vétérinaire puisse avoir une guidance.

Lorsque Sébastien de Jonge découvre le carnet de vaccination de Suzy, appelée Enjoy lorsqu’elle vivait au refuge, il s’interroge. De nouveau, il passe un coup de fil. « Ouais, juste encore une question. Tu te souviens d’Enjoy, le chat ? Il a eu six vaccins. Mais pourquoi il a eu six vaccins ? » Pour le professeur de virologie, il s’agit d’une pratique correcte en termes d’immunisation. Cependant, elle doit rester exceptionnelle. « La survaccination a sûrement été indiquée par le fait que ce chaton était dans un milieu fortement infectieux. Il a probablement été décidé de le vacciner tous les quinze jours pour lui permettre de surmonter cette période. » Le directeur de l’asbl se craque les doigts. « Ça doit être un boost immunitaire. Après, vous pouvez appeler Colmant, c’est lui qui dirige le processus vaccinal. » Les protagonistes se renvoient la balle.

Selon l’employée du refuge Sans Collier, un chaton de la portée d’Enjoy est mort de la PIF, péritonite infectieuse féline. Cela justifierait l’injection de six doses à Suzy ? « Il n’y aucune relation entre le vaccin Purevax RCP et le virus qui peut provoquer la PIF, le coronavirus félin. Ce contexte, je le comprends difficilement. C’est possible qu’il y ait une confusion avec une autre maladie », souligne le professeur Thiry.

Un intérêt financier pourrait-il guider l’aiguille du vétérinaire de Sans Collier ?

Justifié ou non, le protocole vaccinal administré à Suzy est dû à un contexte exceptionnel. La vaccination des chatons au refuge Sans Collier reste, quant à elle, excessive. Un enjeu financier est-il envisageable ? Pas selon Sébastien de Jonge, directeur de l’asbl. « Moi, j’ai aucun intérêt à faire vacciner. D’autant plus qu’on a des prix à l’acte, et le vaccin, on l’a au prix coûtant. Il n’y a pas d’intérêt d’enrichissement. » Cependant, selon les vétérinaires et le professeur interrogés, dès le moment où il y a acte de vaccination, il y a perception d’un revenu. Le refuge Sans Collier rémunère le centre vétérinaire VETES à l’acte. L’hypothèse financière n’est donc pas à exclure, même si nous n'avons pas pu la vérifier.

Sébastien de Jonge ne s’oppose pas à une éventuelle rectification du nombre d’injections. « Si un jour, les scientifiques disent qu’il faut faire des vaccins toutes les semaines pour booster l’immunité, on le fera. Si au contraire, il faut diminuer ou ajuster le tir, on le fera aussi. L’objectif est que les chats passent le cap du refuge. »

Au terme de cette enquête, le moins que l’on puisse écrire est que le flou persiste. Il n’existe pas de protocole vaccinal commun pour les refuges. Deux à trois doses sont néanmoins préconisées... pas six. Deux à trois doses, c'est ce qu'applique la SPA de La Louvière. Ce travail dévoile davantage le processus d'une enquête qu'une quelconque réponse finale quant aux intérêts d'une vaccination excessive de la part d'un refuge tel que Sans Collier. Il est tout de même bon de questionner l'intérêt médical de la pratique.

Une bénévole se prépare à sortir Diamond, un chien.

Les bénévoles pour chats les sociabilisent l'après-midi, celles et ceux pour chiens vont en promenade.

Les bénévoles pour chats les sociabilisent l'après-midi, celles et ceux pour chiens vont en promenade.