Le glyphosate, c'est oui ou bien c'est non ?

Photo: Kashkooli Nassim

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Le 16 novembre 2023, les pays de l'Union Européenne ont voté pour se positionner sur le renouvellement de l'approbation du glyphosate. La majorité requise n'ayant pas été atteinte pour la deuxième fois, c'est la Commission européenne qui a dû trancher et a décidé de renouveler l'autorisation pour dix ans, avec néanmoins certaines nouvelles restrictions et conditions.

Ce pesticide très controversé est encore utilisé sur le sol européen et se retrouve dans la plupart des herbicides. Son impact sur notre santé pose beaucoup de questions. L’affaire du jeune Théo Grataloup est un cas particulièrement marquant : ce jeune homme de 16 ans a subi 53 opérations dues à sa malformation prénatale de l’œsophage et du larynx. Cette malformation découle d’une exposition au glyphosate en tant que fœtus. Il a été officiellement dédommagé par le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides.

Actuellement, aucun rapport concernant la dangerosité du glyphosate ne fait l’unanimité au sein de l’Union européenne (UE). Si la Commission européenne s’accorde à suivre une étude de l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA), les États membres chargés de voter en faveur ou non du texte proposé par la Commission sont très divisés sur l’interdiction du glyphosate. Alors, pourquoi les pays de l'UE n’arrivent pas à se mettre d’accord sur la question du glyphosate ?

Chapitre 1

Réalité du terrain

Photo: Unsplash Creative Content

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En Belgique, le glyphosate fait partie des herbicides les plus vendus en 2020 (415 tonnes). Pour Dominique Lebrun, agricultrice en polyculture, le glyphosate est nécessaire pour éradiquer à la racine des herbes comme le chiendent, qu’aucun outil mécanique ne permet d’arracher.

"L’interdire pour moi, ce serait impossible tant qu’on n’a pas un produit alternatif"
Dominique Lebrun - Agricultrice

De son côté, Paul Schaeffer, également agriculteur, possède deux exploitations : l’une biologique, l’autre dite conventionnelle, terre agricole sur laquelle il emploie des produits chimiques. Pour celle-ci, il utilise du glyphosate à hauteur de 20 % des surfaces, en fonction des produits cultivés. “Quand on utilise une culture de céréales, on n’utilise jamais de glyphosate, mais pour les betteraves qu’on va semer assez tôt au printemps, on n’a pas le temps de détruire notre couvert* parce qu’il pleut souvent fort et donc on va utiliser du glyphosate pour pouvoir implanter fin mars nos betteraves”.

*Le couvert est une végétation présente entre deux cultures, visant à protéger et alimenter le sol agricole. On l’appelle aussi couverture végétale.

Deux raisons poussent Paul Schaeffer à ne pas investir intégralement dans l’agriculture biologique. La première, c’est la rentabilité : “Le marché du bio s’est cassé la gueule. Si trop de personnes font du bio, personne ne gagne bien sa vie”. La deuxième, c’est... le respect de l’environnement : les techniques de labour qui ne nécessitent pas l’utilisation de produits chimiques libèreraient des gaz à effet de serre.

Les deux agriculteurs se rejoignent sur leur responsabilité vis-à-vis des produits qu’ils utilisent, et rappellent que les doses autorisées de glyphosate sont strictement réglementées et contrôlées, à savoir un litre et demi par hectare par an.

Dominique Lebrun estime utiliser le glyphosate qu'en cas de nécessité © Kashkooli Nassim

Dominique Lebrun estime utiliser le glyphosate qu'en cas de nécessité © Kashkooli Nassim

Chapitre 2

Avis divergents dans les rapports scientifiques

Photo: Unsplash Creative Content

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Mais le glyphosate, c'est dangereux pour la santé, objectivement ? Deux organisations ont réalisé une évaluation scientifique sur le glyphosate et sont arrivées à des conclusions complètement différentes.

En 2015, le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC), un organe de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), publie un avis sur le glyphosate avançant qu’il est probablement cancérigène pour les humains.

Cinq mois plus tard, l’European Food Safety Authority (EFSA) rapporte dans le cadre du renouvellement de l’autorisation du glyphosate qu’il est improbable qu’il présente un risque cancérigène pour les humains.

Ces deux avis opposés reflètent la controverse qui entoure le glyphosate. En 2023, la situation n’a pas changé.

"Probablement cancérigène pour l'Homme"
Organisation mondiale de la santé

En Belgique, le Conseil supérieur de la santé (CSS) a publié un avis en 2020 sur le glyphosate et les formulations du glyphosate. Son objectif n’était pas de réaliser une nouvelle étude scientifique sur cet herbicide, mais plutôt de reprendre les études qui existent déjà et d'apporter sa propre conclusion. Ainsi, il en a conclu que le glyphosate est probablement cancérigène, mais pas autant que d’autres substances comme l’amiante ou le tabac. Il a également voulu s’éloigner de la controverse de la carcinogénicité du glyphosate en parlant de son aspect toxique. De nombreuses études commencent à démontrer un effet sur le microbiome intestinal. Le glyphosate peut également être un perturbateur endocrinien. Pour le Conseil supérieur de la santé, ces effets toxiques ainsi que le potentiel cancérigène du glyphosate suffisent pour l’interdire. Dans le cadre de la prolongation de l’utilisation du glyphosate, l’EFSA a publié un nouveau rapport en juillet 2023.

"L'évaluation de l'impact du glyphosate sur la santé humaine n'a pas identifié de domaine de préoccupation critique"
Autorité européenne de la sécurité des aliments

Ainsi, on voit que l’EFSA ne s’éloigne pas de son avis de 2015. Sur base de cet avis, la Commission européenne justifie sa décision de voter sur la prolongation de l’utilisation du glyphosate, plutôt que de l’interdire.

Pour comprendre ces avis divergents, il faut revenir sur deux points : l’approche et les données utilisées. Premièrement, il existe deux approches à l’évaluation du glyphosate : étudier le danger ou étudier le risque, explique le professeur Norbert Fraeyman, expert au CSS. Le CIRC s’est penché sur les dangers mêmes de la substance active du glyphosate, alors que l’EFSA a mené une évaluation des risques de son utilisation. Ces deux approches mènent donc à des conclusions différentes.

Deuxièmement, les résultats différents viennent aussi des données utilisées lors de la réalisation de ces avis. En effet, des autorités européennes comme l’EFSA utilisent notamment des données basées sur les "Bonnes Pratiques de Laboratoire". Ce sont des règles à respecter lors d’études réalisées dans le cadre de l’autorisation réglementaire d’un produit chimique. Cela reprend donc des études produites par les entreprises elles-mêmes pour permettre la mise sur le marché de leur produit. Ce sont des études qui ne sont généralement pas accessibles au public. Le CIRC et le Conseil supérieur de santé se basent quant à eux seulement sur des articles scientifiques, avec un processus de relecture par les pairs, publics .

L’EFSA est dans une approche très minimaliste de l’évaluation du risque
Virginie Pissoort - Chargée de plaidoyer et de campagnes chez Nature&Progrès

Photo: Les 4 Fermes

Photo: Les 4 Fermes

Le résultat du match opposant l’EFSA et le CIRC est sans appel pour la Commission européenne : le glyphosate ne représente pas de réel danger pour la santé. La question est donc de comprendre pourquoi la Commission privilégie l’étude de l’EFSA, qui estime le risque sur la santé humaine, plutôt que d’écouter l’étude du CIRC qui analyse le danger intrinsèque du principe actif ?

Pour rappel, l’EFSA est l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Elle constitue une des principales agences de l’UE et fournit des conseils scientifiques sur les risques existants ou émergents dans le domaine des denrées alimentaires. En un sens, la Commission européenne favorise une logique… européenne. Le Centre International de Recherche sur le Cancer, en revanche, est une agence de recherche de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Organisation elle-même rattachée à l’ONU. Le rapport rendu par le CIRC est donc écarté de la table des négociations.

L'Europe arrivera-t-elle à trancher sur le futur du glyphosate ? © Kashkooli Nassim

L'Europe arrivera-t-elle à trancher sur le futur du glyphosate ? © Kashkooli Nassim

Chapitre 3

Embouteillage politique

Photo: Kashkooli Nassim

Photo: Kashkooli Nassim

L’Allemagne et la France s'étant abstenues le 13 octobre, leur position était très attendue pour le vote du 16 novembre. Pour qu’une proposition soit validée par la Commission, il faut obtenir la majorité qualifiée - soit 15 États sur 27, et que cette majorité représente au moins 65 % de la population européenne. La France et l’Allemagne accumulent à elles deux près de 34 % de la population de l’Union européenne, ce qui leur confère, de fait, une responsabilité particulière pour ce vote.

La position de ces deux États fluctue au fur et à mesure des années. Berlin a annoncé “ne pas accepter” la prolongation du glyphosate, mais s’est pourtant abstenu. Un vote directement lié à un désaccord au sein de la coalition gouvernementale. L’Alliance 90/Les Verts, contre une prolongation du glyphosate, se heurte à l’avis favorable des libéraux, le FDP.

La situation en France s’est également montrée incertaine au fil des années. En 2017, le président Emmanuel Macron avait dans un tweet, “demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans”. Pourtant, Paris s'est lui aussi abstenu.

Le glyphosate est-il le seul produit dont il faut se préoccuper ? © Les 4 Fermes

Le glyphosate est-il le seul produit dont il faut se préoccuper ? © Les 4 Fermes

Les voix sont encore dissonantes entre les États européens quant à l’utilisation ou non du glyphosate. La Commission européenne ne se pose pas cette question. Pour elle, l’EFSA est claire : le glyphosate ne présente pas de préoccupation critique pour les humains. À partir de cette conclusion, l’UE se targue d’assurer la santé des citoyens européens. C’est ici que l’importation de produits alimentaires, comme les lentilles du Canada, fait tache. Le premier exportateur de lentilles au monde n’est pas soumis aux mêmes usages du glyphosate qu’en Europe. Aujourd’hui, de nombreux aliments consommés par les Européens sont issus d’une importation hors UE, et font l’objet d’une exposition forte et directe au glyphosate.

Au Canada, avant de récolter la lentille, on met du glyphosate dessus. Nous, on ne pulvérise jamais sur une plante qu’on va récolter, on le fait avant de planter une culture
Paul Schaeffer - Agriculteur

L’Europe, bien consciente de cette contradiction, ne propose aucune mesure pour faire face à cette situation. Ces importations font non seulement défaut aux agriculteurs européens, soumis à une concurrence déloyale sur le marché international, mais ternissent également les ambitions de l’UE à tendre vers une agriculture plus verte.