L’empire foncier des Mulliez à Lille, laboratoire des futurs de la famille
Mammouth publie la carte inédite des terrains possédés par des sociétés liées aux Mulliez au sein de la métropole lilloise. Soit une réserve foncière de plus de 5 millions de mètres carrés appelée à jouer un rôle clé dans la stratégie de diversification de la famille.

Aller voir un match du Losc au Grand Stade de Villeneuve d’Ascq, c’est entreprendre un voyage à Mulliez‐Land. Impossible de faire un pas sans tomber sur une enseigne de la richissime famille nordiste. À peine sorti du métro à l’hôtel de ville, vous entrez dans le centre commercial V2 dont la locomotive est un hypermarché Auchan. Contournant un rond‐point végétalisé, vous longez un magasin Boulanger avant de vous engager sur le boulevard de Valmy, où vous défilez devant une papeterie Top Office, un Kiabi et un Décathlon. Vous tournez à droite : cette fois, c’est un garage Norauto puis un Leroy Merlin qui vous accompagnent jusqu’à l’intersection suivante. Et là, derrière un Saint‐Maclou, apparaît enfin la Decathlon Arena, l’antre des exploits du club lillois.
À Villeneuve d’Ascq, la famille Mulliez possède ainsi un peu plus de 1,1 million de mètres carrés – l’équivalent de 169 terrains de foot. Car les Mulliez, via une vingtaine de grandes sociétés dont dépendent une centaine de marques différentes, ont longtemps eu une seule politique foncière : être, le plus possible, propriétaire des murs et des terres de leurs magasins, voire des champs alentour.
Cette stratégie foncière est née en 1969 à Roncq avec le premier hypermarché Auchan. Elle a permis à la famille de disposer des réserves de terres nécessaires pour agrandir ses zones commerciales au fil des ans. De quoi bâtir un véritable empire immobilier dont personne, jusqu’ici, n’avait tenté d’évaluer l’étendue exacte.

A gauche du rond‐point, le centre commercial du premier magasin Auchan créé à Roncq, en 1969. À droite, la promenade des Flandres, une zone d’enseignes spécialisées inaugurée en 2017 sur des terres achetées dès le départ par Gérard Mulliez. Image : Google Earth
A gauche du rond‐point, le centre commercial du premier magasin Auchan créé à Roncq, en 1969. À droite, la promenade des Flandres, une zone d’enseignes spécialisées inaugurée en 2017 sur des terres achetées dès le départ par Gérard Mulliez. Image : Google Earth
Ceetrus, la foncière du groupe Elo (Auchan) est en effet régulièrement citée parmi les premiers propriétaires terriens de France. Cependant aucun recensement exhaustif n’existe quant à la surface détenue par l’ensemble des sociétés de la famille. D’où notre volonté de lever un coin du voile sur cette puissance foncière, au moins à l’échelle de la Métropole de Lille (MEL), à la fois berceau historique de la famille et laboratoire de ses projets d’avenir.

Aller voir un match du Losc au Grand Stade de Villeneuve d’Ascq, c’est entreprendre un voyage à Mulliez‐Land. Impossible de faire un pas sans tomber sur une enseigne de la richissime famille nordiste. À peine sorti du métro à l’hôtel de ville, vous entrez dans le centre commercial V2 dont la locomotive est un hypermarché Auchan. Contournant un rond‐point végétalisé, vous longez un magasin Boulanger avant de vous engager sur le boulevard de Valmy, où vous défilez devant une papeterie Top Office, un Kiabi et un Décathlon. Vous tournez à droite : cette fois, c’est un garage Norauto puis un Leroy Merlin qui vous accompagnent jusqu’à l’intersection suivante. Et là, derrière un Saint‐Maclou, apparaît enfin la Decathlon Arena, l’antre des exploits du club lillois.
À Villeneuve d’Ascq, la famille Mulliez possède ainsi un peu plus de 1,1 million de mètres carrés – l’équivalent de 169 terrains de foot. Car les Mulliez, via une vingtaine de grandes sociétés dont dépendent une centaine de marques différentes, ont longtemps eu une seule politique foncière : être, le plus possible, propriétaire des murs et des terres de leurs magasins, voire des champs alentour.
Cette stratégie foncière est née en 1969 à Roncq avec le premier hypermarché Auchan. Elle a permis à la famille de disposer des réserves de terres nécessaires pour agrandir ses zones commerciales au fil des ans. De quoi bâtir un véritable empire immobilier dont personne, jusqu’ici, n’avait tenté d’évaluer l’étendue exacte.

A gauche du rond‐point, le centre commercial du premier magasin Auchan créé à Roncq, en 1969. À droite, la promenade des Flandres, une zone d’enseignes spécialisées inaugurée en 2017 sur des terres achetées dès le départ par Gérard Mulliez. Image : Google Earth
A gauche du rond‐point, le centre commercial du premier magasin Auchan créé à Roncq, en 1969. À droite, la promenade des Flandres, une zone d’enseignes spécialisées inaugurée en 2017 sur des terres achetées dès le départ par Gérard Mulliez. Image : Google Earth
Ceetrus, la foncière du groupe Elo (Auchan) est en effet régulièrement citée parmi les premiers propriétaires terriens de France. Cependant aucun recensement exhaustif n’existe quant à la surface détenue par l’ensemble des sociétés de la famille. D’où notre volonté de lever un coin du voile sur cette puissance foncière, au moins à l’échelle de la Métropole de Lille (MEL), à la fois berceau historique de la famille et laboratoire de ses projets d’avenir.
Une surface colossale...et probablement sous-estimée

Cartographier les terres des Mulliez s’est toutefois révélé une mission épineuse, tant la galaxie de leurs sociétés est vaste. D’autant que la propriété de ces entreprises est souvent répartie dans des myriades de sociétés civiles immobilières (SCI) et autres sociétés spécialisées.
Le cas de Décathlon est particulièrement frappant, puisqu’on dénombre pas moins de cinq sociétés qui détiennent chacune entre 90 000 et 200 000 mètres carrés sur la métropole lilloise (Immothlon, Sirenimo, Park Norwest, Deaucimmo et Leblanc Coulon). Or, à chaque société correspond un nom différent dans les fichiers cadastraux, eux‐mêmes constitués de nombreuses parcelles. Pour établir la carte des possessions des Mulliez dans la MEL, il a donc fallu croiser un fichier regroupant plusieurs centaines de sociétés distinctes liées à la famille avec le fichier des 540 000 parcelles cadastrales appartenant aux personnes morales dans la MEL.
Au total, plus de 60 sociétés différentes liées à la famille Mulliez et détenant des terres sur la MEL ont pu être identifiées. Celles‐ci y cumulent un peu moins de 1 400 parcelles, pour une superficie d’environ 5,3 millions de mètres carrés, soit une surface nettement plus étendue qu’imaginé jusqu’alors. En 2012, Le Point estimait ainsi que la famille Mulliez possédait « une surface équivalant à 4 millions de mètres carrés »… mais sur l’ensemble de la France !
En parcourant cette carte interactive, vous trouverez en rouge les 1400 parcelles appartenant aux différentes sociétés de la famille Mulliez. Cartographie : François Vaneeckhoutte
Dans le détail, les Mulliez détiennent des terrains dans au moins 29 des 95 communes de la MEL. Certaines apparaissent même comme de véritables bastions. Ils possèdent ainsi 6,57 % de la surface de Croix (qui abrite le château de Gérard Mulliez et le siège de la holding d’Auchan), 11,69 % de celle de Faches‐Thumesnil et 15,54 % de Sequedin, du fait des centres commerciaux présents sur les deux communes. Au total, ils cumulent 0,8 % de la surface totale de la métropole lilloise. C’est plus que la superficie de villes comme Croix ou Faches‐Thumesnil, justement, qui comptent chacune environ 20 000 habitants. Et encore : ce calcul n’inclut ni les bâtiments, comme ceux du centre V2 à Villeneuve d’Ascq, dont les Mulliez ne possèdent que les murs (mais pas le terrain) ; ni les propriétés détenues à titre privé. De même, les SCI ne comportant que des propriétés privées ont été exclues, afin de s’en tenir aux biens commerciaux et collectifs.
L’estimation obtenue ici est donc probablement encore inférieure à la réalité. D’autant que les sociétés liées à la famille Mulliez n’ont sans doute pas toutes été identifiées, tant elles sont nombreuses et parfois difficiles à rattacher à l’Association familiale Mulliez (AFM). Il arrive également que de l’information manque au cadastre, du fait de transactions ou de redécoupages récents.
Cette richesse foncière, loin de n’être qu’un patrimoine, est à la base de la stratégie immobilière des Mulliez. Mais celle‐ci connaît une transformation radicale depuis les années 2017–2018. Immochan, la filiale d’Auchan qui gérait le foncier de la famille dans une perspective uniquement commerciale, cède la place à deux entités : Ceetrus, qui détient le patrimoine immobilier, et Nhood, qui gère, exploite et développe ces actifs. Nhood se définit comme un « opérateur immobilier mixte » : il réalise des projets d’aménagement et de promotion comportant des logements et des bureaux, et pas seulement des commerces.
Ce tournant s’inscrit dans le contexte de crise que connaissent les hypermarchés. Disposant des grandes surfaces les plus spacieuses de France (10 000 mètres carrés en moyenne), Auchan est touché de plein fouet par le désamour des consommateurs vis‐à‐vis de ce modèle de commerce. L’enseigne ne représente plus que 9,2 % des parts de marché dans la grande distribution française, contre 11,5 % il y a dix ans. Des diversifications s’imposent donc. Et Nhood émerge comme l’un des instruments les plus prometteurs à cet égard.
La MEL, laboratoire du tournant stratégique des Mulliez

La révolution immobilière des Mulliez ne s’est toutefois pas faite sans connaître des revers. L’annulation de deux de leurs projets les plus ambitieux a ainsi fait la une des journaux : le mégacomplexe Europacity, dans le Val d’Oise et le projet de réhabilitation de la gare du Nord, à Paris. La famille enregistre davantage d’avancées dans la métropole lilloise, qui concentre la quasi‐totalité des projets mis en avant par Nhood sur son site Internet.
À l’ère de la préservation des terres agricoles et naturelles et du « zéro artificialisation nette », la réhabilitation de friches industrielles autour de Lille représente un nouveau défi auquel la famille s’est attelée depuis le début des années 2010, autant qu’une opportunité pour un grand propriétaire foncier. « Notre obsession, c’est de maximiser l’utilisation de nos mètres carrés », confirme un ancien directeur du développement de Nhood.
Cette stratégie s’incarne notamment à La Maillerie, entre Villeneuve‑d’Ascq et Croix. Sur les 11 hectares qui abritaient auparavant les locaux de l’enseigne de vente par correspondance des 3 Suisses, l’opérateur immobilier des Mulliez s’est associé à Linkcity Nord‐Est (groupe Bouygues) pour construire un tout nouveau quartier. Au programme, plus de 700 logements, 16 000 mètres carrés de bureaux et 10 000 mètres carrés de commerces… mais pas de nouvel Auchan à la clé.

Il y a des commerces à la Maillerie, sur l’ancien site des 3 Suisses, mais aucun hyper Auchan. Photo : Matthieu Slisse ©
Il y a des commerces à la Maillerie, sur l’ancien site des 3 Suisses, mais aucun hyper Auchan. Photo : Matthieu Slisse ©
Le cas de la régénération de la friche Transpole à Marcq‐en‐Baroeul est peut‐être encore plus symbolique. Rachetée pour 32 millions d’euros en 2021 au Département du Nord et à la MEL, celle‐ci doit doit en effet accueillir le nouveau siège social de l’AFM et l’incubateur de start‐up de la famille. Mais pas seulement. Car Nhood a été choisie en partenariat avec Sogeprom Projectim, le promoteur de la Société générale, pour réaliser un projet immobilier mixte comprenant 17 900 mètres carrés de bureaux, 1400 mètres carrés de commerces et environ 120 logements. « Le tout intégré dans un amphithéâtre de verdure », promet le communiqué de la société.

La friche Transpole à Marcq‐en‐Baroeul. Capture d’écran Google Earth
La friche Transpole à Marcq‐en‐Baroeul. Capture d’écran Google Earth
Vers la fin du tout-propriété

S’il est encore un peu tôt pour juger du succès de ces opérations, celles‐ci témoignent d’un autre changement radical de philosophie : le renoncement à la maîtrise du foncier. « On ne loue jamais les logements, ils sont faits pour être vendus, explique l’ancien directeur de Nhood. En revanche, on garde des surfaces liées à l’activité, soit du commerce, soit un peu de bureaux. On reste acteurs via des contrats par lesquels on assure l’exploitation et la gestion des lieux. » Un nouveau rôle de gestionnaire, qui vise à « créer du liant » entre les différents utilisateurs du lieu et à « rester sur le long terme » au cœur du projet.
Cette évolution stratégique a vocation à s’étendre au‐delà des frontières de la MEL, comme le confirment les 1,8 milliard d’euros d’investissements envisagés par Nhood sur la période 2022–2026. Des investissements qui ne seront pas sans conséquences : pour trouver l’argent nécessaire à ces opérations de réhabilitation, le président des conseils d’administration de Nhood et de Ceetrus, Antoine Grolin, a annoncé l’an passé au Figaro que les entreprises de la famille allaient « céder partiellement la propriété de certains sites ». Une rupture avec la gestion traditionnelle des Mulliez, mais aussi une confirmation que la richesse foncière de la famille est bien appelée à financer une partie du renouveau de l’AFM.
En coulisses :
La carte présentée ici est le résultat d’un travail en deux étapes. La première a consisté à obtenir la liste des parcelles constituant la métropole lilloise : elle a été obtenue en croisant le fichier du cadastre du Nord, qui contient l’ensemble des parcelles du département, avec celui des communes de la MEL, afin de ne retenir “que” les 540 000 parcelles qui en font partie.
Pour isoler les parcelles appartenant aux entreprises de la galaxie Mulliez, il a fallu ensuite partir des fichiers cadastraux des parcelles détenues par des personnes morales dans le Nord (disponibles en libre accès), puis isoler celles appartenant aux entreprises de la galaxie familiale. Leur liste, établie par le biais du site Pappers, a permis d’obtenir un total d’environ 1 400 parcelles. A noter que cette liste n’inclut pas les parcelles détenues par des personnes physiques car ces données ne sont pas publiques.