L’homme d’affaires Hugues Mulliez jugé en Grèce pour un accident de bateau
En août 2019, le Français pilotait un hors-bord lorsqu’il a heurté une embarcation de pêcheurs, tuant deux de ses occupants et blessant grièvement la troisième. Il est accusé d’« homicides par négligence ». L’affaire sera jugée mardi 9 mai, à Nauplie.
APorto Heli, petite ville balnéaire posée au bord d’une baie du Péloponnèse, les touristes fortunés traversent d’ordinaire l’été dans la sérénité de l’entre-soi. Mais, en août 2019, le calme des eaux turquoise a été perturbé par un accident relayé par les médias grecs : une collision entre bateaux, qui a fait deux morts et une blessée grave. L’affaire va être jugée, mardi 9 mai, à Nauplie, presque quatre ans après les faits.
Ce soir-là, un semi-rigide d’une dizaine de mètres, le MIM, propulsé par deux moteurs de 350 chevaux, a percuté un bateau de pêcheurs. La petite embarcation est éventrée et les trois passagers, une fratrie de deux frères et une sœur, sont projetés à la mer. Deux d’entre eux, Dimitrios et Panagiotis S., 60 ans et 70 ans, ne pourront être réanimés. Alexandra G., sœur jumelle de Dimitrios, devra subir plusieurs opérations.
Le nom de la personne au volant de l’embarcation rapide retient alors l’attention des médias. Hugues Mulliez, homme d’affaires français, est le petit-neveu du fondateur du groupe Auchan, Gérard Mulliez, et dirige Telecel, une société de télécommunications. Il doit répondre devant la justice grecque d’« homicides par négligence » (l’équivalent de l’homicide involontaire en France).
Hugues Mulliez manque à l'appel
Le dossier d’instruction, dont Le Monde a pu consulter plusieurs pièces, retrace les faits. En fin d’après-midi, M. Mulliez s’est attablé à la terrasse d’un restaurant réputé de l’île de Spetses avec des amis. A l’approche du crépuscule, il décide de rentrer avant le coucher du soleil. Vers 20 h 30, le MIM prend la direction de Kilada, une ville côtière située à une vingtaine de kilomètres au nord.
Ce soir-là, plusieurs bateaux étaient présents dans la zone de l’accident. Des témoins ont raconté aux enquêteurs avoir vu filer le hors-bord dans ces eaux très fréquentées. Au-delà de 300 mètres au large des côtes, il n’y a pas de limitation de vitesse, et ce n’est pas une infraction en soi. Auditionné par les gardes-côtes, M. Mulliez soutient qu’il avançait à une vingtaine de km/h – des témoins estiment que le bateau allait deux à trois fois plus vite. Selon l’enquête, il naviguait à plus de 55 km/h.
Après la collision, Hugues Mulliez et l’un de ses compagnons ont sauté à l’eau et sont parvenus à hisser à bord Alexandra G. et un des deux frères inconscients. Le second sera extrait des eaux quelques minutes plus tard par des marins du Light-Holic, un yacht amarré à proximité. Rapidement, les victimes sont amenées vers l’embarcadère le plus proche, celui de la villa des Goulandris, famille de l’armateur Vassilis Goulandris.
Lorsque les enquêteurs arrivent, Hugues Mulliez manque à l’appel. Il a mis treize heures avant de se rendre aux autorités portuaires de Porto Heli. Un laps de temps qu’il justifie par son état physique : en hypothermie, légèrement blessé, il se serait évanoui. Le test d’alcoolémie auquel il est soumis se révèle négatif. L’enquête souligne que la quinzaine d’heures entre le dîner et la prise de sang suffit à évacuer toute trace d’alcool.
"Accord de compromis"
« Je fais du droit pénal depuis 1984, commente l’avocat grec d’Hugues Mulliez, Nikos Emmanouilidis, dans la presse, après sa libération en échange d’une caution de 50 000 euros. Je peux vous dire que mon client sera acquitté. Je ne suis pas optimiste, j’en suis certain. » Joint par Le Monde, il s’est refusé à tout commentaire avant le procès et n’indique pas si son client y sera présent ou non. Le conseil français de M. Mulliez, Christophe Ingrain, contacté par courriel, n’a pas non plus souhaité communiquer.
Devant les autorités portuaires, le pilote et ses passagers ont expliqué que l’embarcation des pêcheurs n’avait pas ses feux de navigation allumés. D’autres témoins soutiennent que le petit bateau naviguait, au contraire, feux allumés.
Konstantinos G., fils d’Alexandra G., estime que l’accident a aussi coûté, trois ans et demi plus tard, la vie à sa mère, qui avait subi plusieurs opérations et dont la santé s’était dégradée. Il s’est constitué partie civile. Quelques mois après la collision, un accord prévoyant une indemnisation de 300 000 euros a été signé entre Hugues Mulliez et la victime rescapée, dont 210 000 euros sont prévus au titre du préjudice moral.
Bien que l’accord « ne constitue pas un aveu de faute ou de responsabilité », Alexandra G. y « renonce à son droit de se porter partie civile », ainsi qu’à « demander toute indemnité complémentaire ». Cet « accord de compromis et de règlement des différends », comme il est intitulé, stipule notamment que l’homme d’affaires « ne souhaite pas que des poursuites pénales soient engagées contre lui ». Konstantinos G., qui dit ne pas avoir signé lui-même l’accord, assure que M. Mulliez n’aurait pas honoré toutes les sommes dues.