Médiation culturelle : les jeux vidéo au service de l'écologie

Bien que l’écologie et le numérique ne soient pas toujours considérés comme compatibles, des acteurs socioculturels mettent des stratégies en place pour les concilier. Ils vont même plus loin en menant des actions de sensibilisation auprès d’enfants.

Découvrez un des ateliers menés par l’association Arts et Publics.

image

Photo by Steven Cordes on Unsplash

Photo by Steven Cordes on Unsplash

Arts & Publics, qu'est-ce que c'est ?

Arts & Publics est une association de médiation culturelle, numérique et non-numérique, qui propose des projets répondant à une ou plusieurs de ses quatre missions fondamentales. Celles-ci sont la formation, l’insertion, l’animation et la promotion. L'association déploie des projets auprès de tous publics, ce qui leur permet d’avoir un accès direct et plus facile à la culture. Arts & Publics met en place des projets avec le secteur de la culture en Fédération Wallonie-Bruxelles ainsi que les secteurs de la jeunesse, de l’enseignement et de l'accompagnement socioprofessionnel en Région bruxelloise. 

Un atelier alliant jeux vidéo et écologie 

Cet atelier sur le thème de l’écologie a été créé à la demande d’une structure particulière : la maison des enfants L’Ancre, située à Haren. Cette dernière souhaitait proposer un atelier mêlant jeux vidéo et écologie à son public, afin de les sensibiliser aux enjeux écologiques et aux différentes façons de lutter contre la crise écologique. L'atelier a déjà été réalisé dans une autre structure en avril 2022 et fût une réussite. Pour avoir un aperçu ou pour tester ce jeu, le lien se trouve à la fin de l'article.

L'atelier est proposé à douze enfants, entre huit et douze ans, et se déroule à L’Ancre, pendant dix séances. Les enfants vont apprendre à conceptualiser un jeu, de sa création à la publication. En effet, iels pourront jouer à leur propre jeu vidéo sur le thème de l’écologie à la fin de l’atelier.  

Portrait de Laura, la médiatrice culturelle d'Arts & Publics et animatrice de l'atelier

Bonjour, je m'appelle Laura. 
Je suis depuis toute petite passionnée par le jeu vidéo et y consacre une bonne partie de mon temps libre. 
C'est donc naturellement qu'il a fait l'objet de mon sujet de mémoire. 
Depuis toujours, le jeu, sur le plan éducatif, a fait ses preuves. Je me suis donc intéressée à la place que pouvait avoir le jeu vidéo sur les bancs de l'école. C'est comme ça que j'ai croisé la route de l'asbl Arts & Publics. 
J'y travaille depuis un peu plus d'un an en tant que médiatrice culturelle et ai l'opportunité de traiter divers sujets d'actualité avec des jeunes (et des moins jeunes) par le biais de jeux vidéo. 
Une citation que j'aime beaucoup et qui correspond très bien selon moi à la médiation culturelle sur le terrain est celle-ci :
"Si l'on souhaite mettre au point de nouveaux concepts, il est important d'être prêt à se mettre au défi et de réellement apprécier ce que l'on fait."
Shigeru Miyamoto


Ici, une image provenant d'un des jeux proposé par la médiatrice en début de l'atelier : Plasticity

Les jeux vidéo : un choix éducatif logique

Ce n’est pas étonnant de voir fleurir dans le milieu socioculturel belge des animations basées sur les jeux vidéo. En effet, dans notre société post-covid, l'industrie vidéoludique n'a jamais été aussi remplie de succès. Chiffres à l’appui, selon le SELL, le syndicat professionnel du secteur, le chiffre d’affaires de cette industrie en France en 2021 s’est élevé à 5.6 milliards d’euros : une croissance de 1.6% par rapport à 20201.

Alors oui les jeux vidéo sont un support de loisir important, mais qu’en est-il de leur utilisation à des fins pédagogiques ?

Selon le chercheur en ludologie Yann Leroux, les jeux vidéo sont associés “à de meilleures compétences cognitives chez les jeunes joueurs”2. Ils amélioreraient l’attention visuelle et les compétences spatiales ainsi que la mémoire et favoriseraient la résolution de problèmes.

C’est donc logique qu’ils soient utilisés dans des ateliers d’animation socioculturelle. A la différence que dans celui d’Arts & Publics, les enfants ne sont pas uniquement amené·e·s à jouer à des jeux vidéo, mais à les programmer : le but étant qu’en s’appliquant dans la création d’un univers, l’enfant va pouvoir mieux intégrer les problématiques liées à l’écologie.

La ludification d’une thématique de société aussi essentielle que l’écologie permet de sensibiliser ce jeune public qui va dans son avenir être confronté à la réalité de cette problématique à une échelle bien plus importante qu’aujourd’hui.

Et rendre ludique un sujet aussi sérieux ne le décrédibilise pas pour autant ; la preuve étant que de plus en plus de jeux “écolo” sont développés. Pour en citer quelques uns Plasticity, Hazzy Days et Ecoman sont des exemples que l’industrie vidéoludique prend conscience que ces jeux peuvent avoir un impact bénéfique sur la société. L’industrie en elle-même tente de changer la donne, en octobre 2021 s’est tenu le Green Game Summit où plus d’une vingtaine de grands acteur·rices du secteur se sont réuni·e·s afin de discuter de l’impact écologique de l’industrie, environ 37 millions de tonnes de CO2 selon l’expert indépendant en numérique, Frédéric Bordages. De quoi tenter de changer la donne.

Présentation de l'atelier

L’atelier écologie dure environ deux heures, chaque mercredi après-midi, à la maison des enfants L’Ancre (Haren). Pendant les premières vingt à trente minutes, Laura, la médiatrice, explique aux enfants comment utiliser le logiciel qu'iels utiliseront afin de créer leur jeu vidéo. Pour cela, elle projette son écran sur un mur blanc, à l’aide d’un projecteur. À ce moment-là, les enfants sont libres de poser toutes les questions qu’iels veulent concernant le logiciel et la création du jeu. Après les explications, plusieurs ordinateurs sont mis à disposition pour que les enfants avancent sur leur jeu vidéo. L'atelier se déroule donc en deux temps. 

Les douze enfants sont divisé·e·s en quatre groupes de deux à quatre enfants par groupe. Avant la conception du jeu sur le logiciel Construct, chaque groupe créera le script de son jeu. Les enfants créeront leur jeu de A à Z, grâce à un petit carnet de bord qui leur permet d’avoir un rappel écrit de leurs décisions. Dans ce carnet, les groupes ont noté le fil rouge de leur jeu : l’objectif à atteindre, comment l’atteindre, le nombre de personnages, leurs pouvoirs, les obstacles qu’il va falloir dépasser et ce qu’il se passe si la personne ne réussit pas à dépasser ces mêmes obstacles. Les enfants sont très libres dans les choix qu’iels font par rapport à leur jeu même si le thème doit toujours être respecté, l’écologie pour rappel. Ce projet est une réelle co-création. 

Une fois cette étape passée, les enfants ont donc accès à des ordinateurs, que la médiatrice apporte pour éviter des frais supplémentaires à la structure qui accueille le projet. Le logiciel de codage y est installé préalablement sur chaque ordinateur. L'un des avantages de Construct est qu’il est possible de l’utiliser sans wifi. Les enfants vont alors se partager les ordinateurs de façon à ce que chacun·e puisse faire progresser le projet. Si l’un·e d’entre elleux a besoin d’aide, iels n’hésitent pas à s’entraider mais aussi à interpeler la médiatrice, qui est à leur disposition pendant l’heure et demie de travail en autonomie. La médiatrice est complètement polyvalente et leur donne des clés pour mieux maitriser le logiciel, et le codage de façon plus générale. Elle joue également un rôle de régulatrice et s’assure que chaque enfant ait accès au matériel de façon équitable. 

À la fin des dix séances, les enfants pourront retrouver leurs jeux vidéo sur le site internet d’Arts & Publics, y jouer autant qu’iels le souhaitent et les partager à leurs proches. La concrétisation de ce projet apporte une réelle satisfaction et fierté pour ces jeunes. 

Comment les jeunes sont-iels impacté·e·s par cet atelier de médiation?

La technologie n’étant pas accessible à tous·te·s de manière égalitaire et la fracture numérique constituant une grande problématique actuelle, plusieurs moyens sont mis en place. D’autres activités comme des quizz, des jeux autour de l‘écologie sont organisés en début d’atelier pour évaluer, de façon ludique, leurs connaissances et qu’iels puissent commencer l’exercice de façon équitable.

La structure de l’atelier sur une année comprend certaines règles et limites : limites de temps, matérielles, techniques. Ces contraintes-là font partie de l’apprentissage et de la progression de ces jeunes. En effet, d’atelier en atelier, iels apprennent qu’iels doivent laisser leur production après deux heures de travail et qu’iels pourront recommencer la semaine prochaine. Iels doivent aussi assimiler le fait que leur jeu vidéo ne pourra pas être parfait, ni digne des grands jeux vidéo auxquels iels jouent. Des limites sont présentes dans la réalisation, liées au temps imparti et à la technique qu’iels ne maitrisent pas totalement. Iels doivent accepter d’évoluer malgré leurs frustrations et accepter les erreurs effectuées, faire le deuil de leurs espoirs parfois trop hauts.  

Une autre limite pour elleux est que les jeunes travaillent à plusieurs sur un ordinateur. Cela pour plusieurs raisons : le matériel, dont les ordinateurs, étant apporté sur place par l’ASBL, il est impossible d’en apporter un pour chacun·e. Mais cela est également l’occasion de les faire travailler en sous-groupes : iels sont ainsi plusieurs à créer un jeu vidéo et deux par ordinateur. Iels doivent apprendre à collaborer, coordonner leurs idées et se partager le contrôle de l’ordinateur, se faire confiance au sein d‘un même groupe et entre les groupes. Souvent, iels préfèrent coopérer, sachant qu’iels font tou·te·s partie d‘un projet commun qui sera publié à la fin de l’atelier.  

L’atelier se veut proche des participant·e·s. Le jeu vidéo est en général un média qu’iels connaissent et qui fait partie de leur univers culturel. Grâce à ce média, on leur demande de créer une histoire, c’est également une manière de les intéresser. En effet, à cet âge-là en particulier, les histoires sont fondatrices, primordiales. Iels doivent rassembler leurs idées, unir leurs forces pour raconter une histoire globale qui pourra toucher d’autres publics. C’est tout l’enjeu de cet atelier : partir d’elleux et essayer de les intégrer dans la citoyenneté en utilisant des moyens et médias qui les concernent et les touchent. Dans les jeux vidéo auxquels iels ont joué en début d'atelier, les problématiques écologiques étaient humanisées car vécues à travers les yeux de jeunes héros·ines. Les animé·e·s ont pu ainsi développer leur empathie, leur sentiment de faire société. Cet atelier s’inscrit également dans une démarche globale de sensibilisation. Durant toute l’année, le thème de l’écologie rythme les ateliers/activités organisés dans la maison de jeunes. Ensuite, iels incarnent les protagonistes de leurs jeux. Iels deviennent ainsi acteur·ice·s de leur quotidien, moteurs de changement. C’est une façon pour elleux de se sentir impliqué·e·s, entendu·e·s et valorisé·e·s. 

Iels ont également un pouvoir sur la création des avatars, le choix des apparences. C'est un travail très important, un travail sur leur imaginaire collectif qui trahit les représentations qu’iels se font des ennemi·e·s, méchant·e·s, héro·ine·s, obstacles. Quelle liberté vont-iels prendre par rapport aux figures habituellement visibilisées dans les médias ? La médiatrice nous a reporté que souvent, iels reproduisent ces normes : leur·s héro·ine·s sont majoritairement blanc·che·s, ils jouent au foot pour les garçons, elles sont très minces et combattent l’ennemi commun en mini-jupe pour les filles. Nous ne pouvons pourtant pas intervenir dans la construction de leur personnage. Serait-ce alors possible, à l’avenir, d’ouvrir leur univers de représentations afin qu’elles se diversifient, qu’iels puissent en créer de nouvelles ?

Image tirée du jeu "Les Avengeurs Sauvent la Planète" par la MDE Pirouette

Image tirée du jeu "Les Avengeurs Sauvent la Planète" par la MDE Pirouette

Le numérique, et plus précisément les jeux vidéo dans ce cas-ci, permet aux enfants d’être plus conscientisé·e·s à l’écologie et aux impacts des actions de l’être humain. Le jeu vidéo créé dans le cadre de l’atelier apporte une autre dimension de ce que représente l’écologie pour les participant·e·s. Cela leur permet d’adopter des comportements plus éco-conscients, ce qui montre tout l’impact des jeux vidéo sur les jeunes et leur façon d’agir. 

Lien vers le jeu vidéo : https://artsetpublics.be/wp-content/themes/ARTS-ET-PUBLICS/jeux/Les%20avengeurs%20sauvent%20la%20plan%c3%a8te/

1 Sell, mars 2022, bilan du marché français 2021

2 Leroux, Y. (2022). Les jeux vidéo et la psychologie cognitive