Projection en bande


Le X remis au goût du jour avec le cinéma Nova et le Brussels Porn Film Festival

Intérieur du cinéma Nova

Photo: Romain Pirard (CC BY NC ND)

Photo: Romain Pirard (CC BY NC ND)

Les (d)ébats de la gueulante

Dans le sous-sol du cinéma Nova, des chaises s'agglutinent. En cercle, des jeunes adultes, une vingtaine environ, sont venus parler porno en fin d'après-midi. La gueulante sert à discuter librement en buvant une bière, entourés d'effigies queer disposées aux murs. Ici encore, il s'agit de faire exister le X hors des chambres calfeutrées, hors d'internet et hors de ses zones d'ombres. Pas d'experts, que des amateurs de pornographie. Certains en produisent, d'autres en consomment, ou les deux. Une heure top chrono, parlons porno.

Selon Marie*, aujourd'hui, les pornos, car ils sont multiples, servent deux usages distincts. Il y a le porno "mainstream", celui des url qui apparaissent en premier, celui qui flingue la subtilité. Lui, on l'utilise pour la masturbation principalement. Il est rapide et efficace.

Puis, il y a le porno "alternatif". Il est plus travaillé, inclut tous les corps, toutes les sexualités, propulse les "désirs.com" au rang d'art à part entière. C'est le X que Marie consomme sans honte et souhaite produire elle-même.

Sophie* prend la parole. Elle est en phase avec le point de vue de Marie, mais voit un problème se dessiner : la mention "pornographie", sur internet comme dans les mentalités, englobe le premier comme le second. Tout se retrouve sous ce terme générique. Tout au plus, le porno est classé par genres, définis selon les fétiches représentés, alors qu'il est un genre cinématographique à part entière.

Internet a tendance à invisibiliser le porno parce qu'il le rend strictement individuel

Ça fait seulement vingt minutes et les esprits s'échauffent déjà face à la montagne d'éléments à aborder, à décortiquer. Pourquoi cette effervescence ? Marie pense que c'est lié au besoin d'être rassuré quant aux désirs que l'on cultive. Il n'y a pas de discussion, pas de partage autour de l'expérience pornographique de chacun. Il existe peu de moyens de connaître les fantasmes des autres, de les comparer aux siens. Un des modérateurs réagit. Selon lui, on pourrait dire qu'internet a tendance à invisibiliser le porno, parce qu'il le rend strictement individuel.

Quant à savoir ce que chacun souhaiterait voir dans l'évolution de la pornographie, Sophie a des idées pour pallier le caractère solitaire de cette expérience. Elle aimerait des séances de visionnage collectives. Quitte à se masturber entre adultes consentants. Cette envie n'est pas sans rappeler les pratiques des premiers cinémas X, dont certains, comme le Paris, sont encore sur pied. L'ère du porno cantonné à un écran d'ordinateur fera peut-être place à une renaissance des espaces dédiés à l'appréciation du X en comité averti.

*les prénoms ont été changés afin de préserver l'anonymat garanti par l'espace de parole

Escalier vers le bar du cinéma Nova

Photo: Romain Pirard (CC BY NC ND)

Photo: Romain Pirard (CC BY NC ND)

Affiche BDSM sur le mur du bar

Photo: Guillaume Tournay (CC BY NC ND)

Photo: Guillaume Tournay (CC BY NC ND)

Autre salle, autre ambiance. L'escalier blanc mène à une grande pièce où des jeunes gens s'affairent. Thomas, le propriétaire des lieux, s'assied sur le canapé. "Miguel ? Marianne ? Tout le monde vous attend". Il rit, allume sa cigarette et Miguel et Marianne se posent autour de la table basse. Tous trois produisent du X amateur en Belgique, mais s'ils sont réunis dans ce bel appartement proche de la Grand Place, c'est pour un autre genre de projet : le premier festival du film porno de Bruxelles. Loin du scénario du plombier venu déboucher quelques tuyaux, ce festival met en avant des œuvres pornographiques léchées.

"Il existe toute une culture alternative de l'image pornographique" - Marianne, membre de l'équipe du Bpff

Le film pornographique, ça peut être, et c'est d'ailleurs, du cinéma

Le Porn film festival de Berlin existe depuis 2006. Depuis, en Europe, de nombreuses capitales se sont dotées de leur propre événement du genre. Bruxelles, laissée pour compte jusqu'à présent, connaîtra donc sa première édition en avril 2022. Une première qui aurait pu avoir lieu il y a bien longtemps. "Au festival de Cannes de 1965, il y avait un film X en compétition", rappelle Thomas. Avec le temps, le regard de la société sur le sexe sur grand écran s'est fait plus accusateur.

"Le porno, ce n'est pas qu'un support masturbatoire sans aucune qualité esthétique" - Thomas, membre de l'équipe du Bpff

Marianne ne veut pas non plus tomber dans la "nostalgie à deux balles". Les cinémas et vidéoclubs étaient peut-être plus présents avant, mais ils contribuaient à entretenir la croyance selon laquelle obscénité ne rimera jamais avec qualité.

"Les films projetés dans les cinémas porno restaient quand même sur de la pornographie très hétéronormée" - Marianne

Une renaissance, une ouverture nouvelle au contenu pornographique, en décalage avec le stéréotype du film cochon bidon, voilà ce que revendique l'équipe du Brussels Porn Film Festival.

A Bruxelles, ce qu'on veut apporter avec le festival, c'est un système de validation, de partage et de dialogue. Parce que le porno, tout le monde en regarde, mais personne n'en parle
Miguel

Thomas se penche pour attraper le cendrier. Les affiches au mur attirent le regard, en montrant des gens qui s'embrassent. La tranche des livres posés sur le buffet arbore "ils s'aiment". Des livres, des affiches, des photos,... tout ici marque l'importance de la représentation, l'intérêt du visuel qui s'expose aux yeux de tous. Miguel, silencieux jusqu'ici, se redresse quand il entend que le porno, finalement, aujourd'hui, "c'est pas un peu que sur internet ?"

"On veut ramener à Bruxelles ces systèmes de validation, de partage, de dialogue" -Miguel, membre de l'équipe du Bpff

"Ce qu'on regarde, ce qui nous excite, ce qu'on veut imaginer", voilà, selon Miguel, la Sainte Trinité du dialogue libre autour du porno. L'intérêt, si l'on le suit, n'est donc pas de choquer ou de placarder de la débauche bien crue en fin de matinée, mais d'extirper de leur coquille les désirs de chacun. Dans une salle obscure bondée ou à un festival dédié, la pornographie évolue vers une consommation plus assumée et moins solitaire. En bref, l'amour, c'est mieux à deux… voire plus.

Images : Brussels Porn Film Festival/Instagram