Qui arrêtera Netanyahu ?

le batiment de la cour pénale internationale à La Haye

Photo de Oliver de la haye sur Adobe Stock

Photo de Oliver de la haye sur Adobe Stock

Depuis le 21 novembre, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu est sous la menace d’une arrestation, visé par un mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les 124 pays membres de la Cour ont l’obligation théorique de l’arrêter s’il foule leur sol. Mais de grandes puissances ont annoncé leur refus d’appliquer la décision. Joe Biden, qui était pourtant prompt à saluer les mandats d’arrêt contre Vladimir Poutine, a qualifié cette décision de « honteuse », et Viktor Orbán, dans une provocation assumée, a invité Netanyahu à Budapest, déclarant que la décision de la CPI était "erronée". Les États semblent, au cours des dernières années, de plus en plus enclins à renier les contours du cadre imposé par la justice internationale.

L’édifice moral érigé à Nuremberg, le procès mis en place en 1945 pour traduire en justice les principaux responsables du Troisième Reich, montre-t-il des signes de fragilité ? Le droit international chancelle-t-il ? La question se pose : sommes-nous en train d’assister à la fin du droit pénal international ?

Photo de Benyamin Netanyahu devant un pupitre de l'UE

Benjamin Netanyahu - Photo de l'Union Européenne

Benjamin Netanyahu - Photo de l'Union Européenne

Chapitre 1

Un droit sous influence

Lorsque la CPI avait, le 17 mars 2023, émis des mandats d'arrêt contre Vladimir Poutine pour crime de guerre, la réaction occidentale avait été unanime.

Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères de France au moment des faits, avait immédiatement qualifié la décision d’« extrêmement importante », martelant : « Tout responsable de crime de guerre ou de crime contre l'humanité devra rendre des comptes. »

De son côté, Joe Biden avait estimé que le mandat d’arrêt était « justifié » et déclaré que la décision « envoyait un signal très fort au président russe et à la communauté internationale ».

Les discours, loin de remettre en question la légitimité de la Cour, visaient à la renforcer. Lorsque la Mongolie, pourtant partie au Statut de Rome, recevait Vladimir Poutine sur son sol, sans donner suite au mandat d'arrêt, l'occident élevait la voix pour rappeler à Oulan-Bator ses obligations envers le droit international.

L’émission de mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et l’ancien ministre de la Justice Yoav Gallant n’a pas suscité le même enthousiasme.

La France, qui dans un premier temps déclarait « prendre acte » de la décision, a rapidement fait machine arrière en  invoquant l’article 98 du Statut de Rome pour justifier l’impossibilité d’arrêter Netanyahou sur son territoire, évoquant l’immunité des États non-parties à la CPI.

Une interprétation du droit largement contestée, notamment par Human Rights Watch, qui déplorait dans La Croix la « capitulation ignoble » de la France, « au moment où son soutien est le plus nécessaire »

"Ça affaiblit la crédibilité de la Cour, mais aussi notre humanité."

Les réactions des États, notamment occidentaux, face aux décisions de la Cour, sont parfois à double vitesse. Selon certains experts, ceci participe à la remise en doute d’un droit pourtant légitime : « Ce qui est discrédité, ce n’est pas le droit pénal international, c’est comment les gouvernements exécutent ce droit, donc le côté politique du droit international. Mais politique et droit international sont les deux faces d’une même pièce », explique Kheda Djanaralieva, chercheuse-doctorante au centre de droit international de l’ULB. Le coup est porté à la réputation de la Cour, selon Montserrat Carreras, chargée de plaidoyer pour Amnesty International Belgique francophone depuis 1987 : « Ça affaiblit la crédibilité de la Cour, mais aussi notre humanité. Parce que la quête vers la justice est semée d’embûches mortelles. » 

Ce qui est notamment reproché à la CPI, c’est de ne s’intéresser qu’à des ressortissants de pays africains, tandis que des crimes commis par des puissances occidentales ou leurs alliés semblent échapper à son radar : « Tant qu’on s’attaquait à des pays pauvres, mais riches en minerais qu’on pouvait exploiter, ça allait », affirme Montserrat Carreras. Alors la Cour, en s’attaquant pour la première fois à un pays occidental qualifié de « démocratique », envoie, selon Kheda Djanaralieva, un signal d’indépendance : « la CPI, en allant à l’encontre de la position américaine, affirme : Nous, on lutte contre tous les crimes de guerre, tous les crimes contre l’humanité. Peu importe par qui ils sont commis, et de quel côté de l’échiquier politique vous êtes ». 

"Joe Biden doit être conscient d’une chose : c’est que la question de la complicité dans le génocide, puisqu’il a vendu des armes, sera, un jour, posée"

Mais les alliances stratégiques semblent continuer de primer sur la justice universelle. Israël détient le statut d'allié majeur hors OTAN des États-Unis, et est aujourd’hui le premier client mondial de l’armement américain. L’État hébreu est celui qui, au cours de l’histoire, a été le plus fourni en aides militaires et économiques par les États-Unis. Washington entretient une relation privilégiée qui semble insensible aux accusations de crimes de guerre. « À partir du moment où des intérêts géostratégiques et économiques sont en cause, les États occidentaux réagissent différemment. Et Joe Biden doit être conscient d’une chose : c’est que la question de la complicité dans le génocide, puisqu’il a vendu des armes, sera, un jour, posée », assène Montserrat Carreras, au lendemain de la publication du rapport d’Amnesty concluant qu’Israël « commet un génocide à Gaza », et poursuivant : « Lorsque les États-Unis, première puissance démocratique mondiale, continuent de livrer des armes et de soutenir un État accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, cela ouvre toutes les portes à l’impunité. » 

L’ombre des États-Unis sur le droit pénal international

La CPI fait face à un défi de taille : elle avance sans l'adhésion de grandes puissances comme la Chine, la Russie, l’Inde, Israël, et sans la ratification des États-Unis. Si ces absences pèsent lourdement, elles n'empêchent pas certains pays d'imposer leur influence : « Avant même que la conférence diplomatique n’adopte le Statut de Rome, les États-Unis ont exercé des pressions incroyables pour protéger leurs intérêts. Il fallait, pour les États-Unis, s’assurer que jamais un de leurs soldats ne puisse être poursuivi devant la Cour. C’est une obsession depuis le début. Et quand des États africains voulaient ratifier le Statut de Rome, les États-Unis les menaçaient de supprimer toutes les aides militaires sur leur territoire », souligne Montserrat Carreras, qui estime que les États-Unis se montrent, depuis toujours, très critiques à l’égard de la CPI, sans pour autant « hésiter à s'imposer dans son fonctionnement et à se servir d’elle. »

"Ce serait tout à fait différent si les Américains étaient parties à la CPI."

L’efficacité de la CPI repose, selon elle, autant sur la participation financière que sur le ralliement de ces grandes puissances au Statut de Rome : « Ce serait tout à fait différent si les Américains étaient parties à la CPI. Cela légitimerait davantage la Cour, car cela voudrait dire que de grands États, avec de grandes forces armées, acceptent la compétence d’une Cour au-dessus de leur souveraineté. »

L’influence américaine a marqué l’histoire de la CPI. Un rapport d’Amnesty International d’avril 2019 dénonçait des pressions américaines sur la Cour : « La décision qu’a prise la Cour pénale internationale de ne pas autoriser une enquête sur les crimes de droit international commis en Afghanistan représente un scandaleux abandon des victimes et affaiblit davantage encore la crédibilité de cette institution. » Pour la chargée de plaidoyer d’Amnesty : « Cela ne fait que s’empirer. »

« menaces, pressions et actes de sabotage »

L’actualité remet au jour cette influence : le 2 décembre, la Présidente de la CPI Tomoko Akane, dénonçait des « mesures coercitives, des menaces, des pressions et des actes de sabotage » dont était victime la CPI. « Les pressions fonctionnent, fustige Montserrat Carreras, mais il faut rappeler le courage de cette institution qui lutte, malgré les pressions des plus grandes puissances et le peu de moyens dont elle dispose, contre l’impunité. »

Photo du drapeau des États-Unis

Photo de jd-photodesign sur Adobe Stock

Photo de jd-photodesign sur Adobe Stock

Chapitre 2

Une justice internationale désarmée

Une poignée de main devant les drapeaux du monde

Photo générée par l'IA

Photo générée par l'IA

Croire que la justice pénale internationale a, tout au long de son existence, mis fin aux génocides ou aux crimes de guerre serait se bercer d’illusions. Mais le procès de Nuremberg, mis en place en 1945 pour traduire en justice les responsables du Troisième Reich, a enfanté une nouvelle forme de droit, universelle, affranchie des égoïsmes d’États, selon laquelle la souveraineté ne constitue plus un refuge à l’impunité. Nuremberg n’était pas qu’un procès. C’était une déclaration au monde : plus jamais ça.

La CPI, « première et unique juridiction pénale internationale permanente au monde », se charge de juger les auteurs des pires crimes jamais perpétrés contre l’humanité. Mais elle avance avec un handicap de taille : pas de mécanisme contraignant, pas de police, pas de pouvoir effectif. Tout repose sur la coopération internationale, fragile et capricieuse. En théorie, les États parties à la CPI sont tenus de faire respecter ses décisions. En théorie. Et c’est là que le bât blesse. 

La mise en œuvre de ses décisions dépend de la bonne volonté des États, qui, parfois, vacille. Car si le droit international est censé dépasser les intérêts nationaux, en pratique, il se heurte régulièrement à des jeux d’influence et des rapports de force géopolitiques. 

Chapitre 3

Entre espoir et frustrations

Jeune fille marchant sur le bord de la route. La ville derrière elle est détruite.

Photo de Meysam Azarneshin - Adobe Stock

Photo de Meysam Azarneshin - Adobe Stock

Le Royaume-Uni et la Belgique ont annoncé suspendre la vente de certaines armes à Israël. Ces rares mais significatifs éclats rappellent que la justice internationale, bien que souvent mise à l’épreuve, conserve la capacité d’influer sur les choix des États. La menace d’une condamnation du droit pénal international qui plane au-dessus des États a parfois des effets concrets, souligne Kheda Djanaralieva : « On voit que certains États ont peur d’être responsables de violations du droit international en délivrant ces armes. »

Si le droit pénal international n’a pas toujours d’effets immédiatement visibles, certains y voient une promesse de justice : « Je ne sais pas si les Palestiniens verront un jour la justice. Mais en attendant, un processus est lancé. Cela veut dire que tôt ou tard, la CPI, avec d’autres instances, va juger une série de bourreaux qui devront rendre des comptes », clame la représentante d’Amnesty. Le droit international s’inscrit dans un processus de justice lent : « Malheureusement, il faudra attendre qu’un État se charge d’arrêter Netanyahu et trouve une coopération rapide pour l’emmener à La Haye. Il n’y a pas d’autres solutions. Aucun État ne va aller enlever Netanyahu en Israël, parce qu’on ne fait pas comme les Israéliens », conclut-elle, ajoutant : « Ce qui est sûr, c’est que notre silence sur Gaza aura de lourdes conséquences. »

Chapitre 4

Du Tribunal de Nuremberg à la CPI

Une image avec la statue qui représente la justice

Photo de Adobe Stock

Photo de Adobe Stock

Le droit pénal international moderne, tel que nous le connaissons, est né dans un monde dévasté par la Seconde Guerre mondiale, dans une salle d’audience de Nuremberg, où, pour la première fois, des dirigeants d’un État étaient traduits devant un tribunal pour des crimes si abjects qu’ils exigeaient une réponse au-delà des frontières. Une réponse universelle. 

Le 8 août 1945, les alliés instituent, dans le cadre de l’Accord de Londres, un tribunal militaire international, qui enfantera une toute nouvelle forme de juridiction, dans laquelle la souveraineté nationale ne constitue plus un refuge à l’impunité. La paix apparaît alors tributaire d’un nouveau principe : le droit doit transcender les intérêts nationaux. Au cours du Procès de l’Histoire, les quatre chefs d’accusation - crimes contre la paix, crimes de guerre, complot et, nouveauté historique, crime contre l’humanité - dessinent les contours de la justice internationale. 

Nuremberg n’était pas qu’un procès. C’était une déclaration au monde : plus jamais ça.

La société internationale, marquée par les atrocités du XXe siècle, semblait résolue à placer le droit international au sommet de l’édifice moral mondial. Ce qui n'était qu'une force symbolique devait désormais devenir un rempart tangible pour préserver la paix. 

La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée à Paris par l’Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948, jetait les bases d’une justice universelle. L’institution des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie en 1993 et pour le Rwanda en 1994 enfonçait le clou, affirmant un droit affranchi des critères de « race, sexe, langue ou religion », auquel les États membres s’engageaient à se soumettre.

Les discussions restées en suspens depuis 1945 sur la création d’une Cour pénale internationale resurgirent après la chute de l’URSS. Elles aboutirent à la naissance officielle de la Cour pénale internationale le 11 avril 2002. Sa mission : juger les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les crimes d’agression. Un outil ambitieux pour un idéal toujours fragile, mais dont la légitimité n’est alors pas remise en doute.

Montserrat Carreras se souvient de la naissance prometteuse de la CPI : « Au début des années 2000, on pensait qu’un nouveau millénaire était né. C’était un signal. On pensait que la Cour pourrait travailler librement et que tous les États allaient y adhérer. On pensait. On rêvait, sûrement. »

Les accusés du procès de Nuremberg assis sur un banc écoutant leurs sentences

Procès de Nuremberg - Photo du Mémorial de Caen

Procès de Nuremberg - Photo du Mémorial de Caen

Lexique

Image d'une page de dictionnaire écrite en anglais

Photo de Mick Haupt sur Unsplash

Photo de Mick Haupt sur Unsplash

Le crime de génocide

Statut de Rome - Article 6

Le terme "génocide" désigne tous les actes suivants, commis dans l'intention de détruire, complètement ou partiellement*, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : Meurtre des membres du groupe ; Infliger des lésions corporelles ou mentales graves aux membres du groupe ; Soumission intentionnelle du groupe à des conditions de vie entraînant sa destruction physique totale ou partielle ; Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; Transfert forcé des enfants du groupe à un autre groupe.

Le crime contre l’humanité

Statut de Rome - Article 7

Pour les crimes contre l'humanité, certains éléments contextuels doivent être remplis cumulativement : Attaque dirigée contre la population civile — le terme « population civile » se réfère aux personnes qui sont des civils, par opposition aux membres des forces armées et d’autres combattants légitimes — il exclut les cibles militaires. Généralisée ou systématique - le terme généralisée a été défini par la jurisprudence comme étant une attaque menée sur une grande zone géographique ou une attaque dans une petite zone géographique, mais dirigée contre un grand nombre de personnes ; le terme systématique a été compris comme un plan organisé qui suit un schéma régulier et se traduit par une perpétration continue d'actes. Conformément ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation — Une attaque qui est planifiée et organisée, par opposition à des actes de violence qui sont spontanés et isolés. Elle n'a pas besoin d'être déclarée expressément et précisément. Connaissance (mens rea) — l’auteur doit agir en connaissance de cette attaque dirigée contre la population civile. Élément psychologique en vertu de l’article 30 — être conscient qu’une circonstance existe ou qu’une conséquence adviendra dans le cours normal des événements.

Le crime de guerres

Statut de Rome - Article 8

Les crimes de guerre comprennent les violations graves de la Convention de Genève et d’autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux et les conflits armés non internationaux, lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’un plan ou d’une politique ou à grande échelle. Les crimes de guerre comprennent, entre autres : Meurtre ; Mutilation ; Prise d'otages ; Attaques menées intentionnellement contre des civils ; Viol, abus sexuel et grossesse forcée ; Conscription ou enrôlement d’enfants de moins de 15 ans dans des forces armées ou les faire participer à des activités hostiles.

Le crime d’agression

Statut de Rome - Article 8 bis

Le crime d’agression signifie la planification, la préparation, le déclenchement ou l’exécution d’un acte de recours à la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État. Il comprend, entre autres, l’invasion, l’occupation militaire et l’annexion par l’emploi de la force, l’obstruction de ports ou de côtes, si elle est considérée comme étant, par sa nature, sa gravité et son ampleur, une violation manifeste de la Charte des Nations Unies.

Le principe de la compétence universelle

Le principe juridique de compétence universelle, fondé sur l’idée que la lutte contre l’impunité n’a pas de frontières. En vertu de ce principe, les États ont la possibilité (et même parfois l’obligation) de poursuivre les auteurs de crimes internationaux se trouvant sur leur territoire – et ce où que les crimes aient été commis et quelle que soit la nationalité des auteurs et des victimes.

Image d'une page de dictionnaire écrite en anglais

Photo de Mick Haupt sur Unsplash

Photo de Mick Haupt sur Unsplash