TRAVERSONS BRUXELLES
à l'écoute du récit de l'autre
Defoin Valentine, Haulotte Nicolas, Parent Cyril, Keutgens Sacha et Zanzen Emma, étudiant.e.s en Animation Socioculturelle et Education Permanente (ASCEP) à l'IHECS

Etudiantes en master ASCEP à l’IHECS en 2007, Emilie Bergilez et Céline Wayntraub s’approprient les outils du numérique afin de les mettre au profit de la visibilisation d’un public précarisé. 15 ans plus tard, cinq étudiant·e·s d’ASCEP s’intéressent à leur projet dans le cadre d’une enquête sur la place du numérique dans la médiation culturelle.
Ces étudiant·e·s, c’est nous. Et notre enquête commence à la Rue Brialmont, à Saint-Josse. Derrière nous, un grand bâtiment grisâtre. En face, un garage et une porte rouge. On y est, le numéro 21. Il ne nous reste plus qu’à scanner le QR Code et à brancher nos écouteurs. C’est parti.
Le QR Code nous renvoie vers un lien Soundcloud et la balade sonore peut commencer. Le premier épisode dure 5 minutes 21. Différentes voix se succèdent, chacune raconte leur histoire. Ces voix, elles ont un point commun, elles sont celles d’hommes et de femmes issu·e·s de l’immigration. Ce sont elles qui vont nous guider tout au long de cette balade au cœur de la plus petite commune de Bruxelles. Un travail signé Urbanisa’son : tout commence avec des ateliers d’expression et de créativité proposés à des publics fragilisés. Dans le cas de la balade Ici et là-bas, un peu de moi traversant Saint-Josse, il s’agit de personnes primo-arrivantes mais dans d’autres cas, les balades peuvent être le fruit du travail de groupes de femmes, de personnes apprenant le français ou de demandeuses d’asiles de la communauté LGBTQIA+. Cette médiation culturelle aboutit à la création d’un produit numérique : une série de podcasts. Chaque podcast correspond à un endroit particulier, l’ensemble de ce travail formant une balade sonore.
Urbanisa’son est une ASBL créée en 2007 à la suite d’un mémoire médiatique dans la section ASCEP de l’IHECS. Basée à Bruxelles et Namur, l’association utilise le son pour développer une réflexion autour des notions de territoire et d’espace public et pour mettre en lumière les récits des personnes généralement peu entendues. Derrière ce projet, il y a Emilie Bergilez et Céline Wayntraub. Leur but est de développer “des outils sonores participatifs pour encourager et favoriser la démocratie culturelle dans les quartiers”.

Plan de la balade "Pas à pas, ici et là, un peu de moi". Site web Urbanisa'son.
Plan de la balade "Pas à pas, ici et là, un peu de moi". Site web Urbanisa'son.
Au contraire de la démocratisation culturelle, la démocratie culturelle inclut le public au processus de création et c’est dans cette logique que s’inscrivent les ateliers proposés par Urbanisa’son. Ceux-ci s’étalent sur quelques mois et commencent par un processus de co-création et d’émergence d’idées autour d’une fresque afin de déterminer l’angle d’une balade. Les thématiques traitées émergent des besoins des publics, de ce qui les touche ou de ce qui les anime. Ce sont particulièrement les dimensions sonore et visuelle qui sont exploitées pour faire émerger les histoires et les sensibilités des participant·e·s. L’atelier est l’occasion pour elleux de libérer leur parole et c’est aussi un bon prétexte pour exercer leur français sans gêne ni complexe. Tout au long du processus, les participant·e·s sont les réel·le·s acteur·ice·s de leurs propres histoires : de l’enregistrement des témoignages au montage des podcasts, en passant par l’élaboration du parcours et du graphisme des plans, iels sont réellement actif·ve·s dans toutes les étapes de la création d’une balade sonore. Rappelons-le, le but de la démocratie culturelle a vocation de contrebalancer les principes de la démocratisation culturelle qui se veut hiérarchique et élitiste.Cette perspective entend garantir l'accès à la culture pour un large public et veut montrer que tout le monde peut être créateur·ice·s. Ce projet en est un bon témoin.
Une condition nécessaire à la démocratie culturelle est qu’il faut que les voix qui s’expriment trouvent des oreilles pour les écouter. Pour ce faire, les balades sonores sont présentées à un large public lors d’évènements particuliers. Ces créations prennent vie sous forme de performances, d’installations, d’expositions et autres outils pédagogiques et culturels. TraverSons Bruxelles en est un bon exemple et c’est sur ce projet que nous avons choisi de nous concentrer. Il s’agit d’un festival de balades sonores de trois jours dont la première édition a eu lieu en octobre 2022. Son objectif est de regrouper les différentes balades sonores “Pas à Pas” créées toute l’année par les publics fragilisés via l’ASBL Urbanisa’son. Durant les trois jours de festival, les auditeur·ice·s se baladent en groupe dans différents quartiers de Bruxelles en ayant les podcasts dans les oreilles. L’occasion pour elleux de découvrir la capitale belge sous un nouveau regard, de développer un autre rapport à l’espace public à travers les vécus et les témoignages d’adultes majoritairement issus de l’immigration.

Lorsque nous avons rencontré Émilie dans le cadre de notre enquête, notre première question s’est portée sur les raisons du choix d’un médium numérique pour mener à bien ce projet. Elle nous a expliqué qu'il était avant tout un prétexte pour mobiliser des personnes étrangères les unes aux autres autour d’un projet commun qui leur permettait d’aller vers une émancipation individuelle ou collective.







Balade collective "pas à pas" lors du festival TraverSons Bruxelles. Urbanisa'son Facebook (2022).
Balade collective "pas à pas" lors du festival TraverSons Bruxelles. Urbanisa'son Facebook (2022).

Balade collective "pas à pas" lors du festival TraverSons Bruxelles. Urbanisa'son Facebook (2022).
Balade collective "pas à pas" lors du festival TraverSons Bruxelles. Urbanisa'son Facebook (2022).

Émission radio réalisée à l'occasion du festival TraverSons Bruxelles. Urbanisa'son Facebook (2022).
Émission radio réalisée à l'occasion du festival TraverSons Bruxelles. Urbanisa'son Facebook (2022).

Balade collective "pas à pas" lors du festival TraverSons Bruxelles. Urbanisa'son Facebook (2022).
Balade collective "pas à pas" lors du festival TraverSons Bruxelles. Urbanisa'son Facebook (2022).

Émission radio réalisée à l'occasion du festival TraverSons Bruxelles. Urbanisa'son Facebook (2022).
Émission radio réalisée à l'occasion du festival TraverSons Bruxelles. Urbanisa'son Facebook (2022).

Balade collective "pas à pas" lors du festival TraverSons Bruxelles. Urbanisa'son Facebook (2022).
Balade collective "pas à pas" lors du festival TraverSons Bruxelles. Urbanisa'son Facebook (2022).
Parmi toutes les possibilités qu’offre le numérique, c’est le choix du podcast qui a été retenu par les deux étudiantes à l’époque. Et ce choix n’est pas anodin car le podcast est un médium qui se transmet aisément et qui permet aux utilisateur·ice·s de se le réapproprier sans trop de difficulté. Aussi, le son crée de l’intimité : enregistrer sa voix sans interlocuteur·ice permet de parler librement, sans avoir peur du regard de l’autre ni de son jugement. Ironiquement, c’est en retirant l’image qu’on permet de visibiliser. Enfin, le podcast est un outil numérique qui permet aux voix de sortir de là où elles ont été capturées et de les faire durer dans le temps et dans l’espace. Il représente la mémoire vivante des hommes et des femmes qui se confient derrière le micro. Dans le cas de TraverSons Bruxelles, les productions restent disponibles sur Soundcloud toute l'année, ce qui garantit une large diffusion de leur contenu. Les histoires peuvent alors aussi voyager au-delà des territoires.
Néanmoins, le projet TraverSons Bruxelles ne s’inscrit pas dans une volonté de numériser à tout va. Au contraire, le festival vise essentiellement à mettre en lien auditeur·ice·s et bénéficiaires des ateliers sonores. L’accent est mis sur les échanges et le contact humain que peut susciter l’écoute. Emile Bergilez insiste d’ailleurs sur l’importance du tangible, de la richesse des balades en collectif, du vrai, de la rencontre. Pour ce faire, une médiation est réalisée au cours des balades afin de discuter, de débattre et de se rencontrer autour des contenus proposés. Afin de permettre à chacun·e·s d’écouter simultanément, l’équipe d’Urbanisa’son met à disposition du matériel sonore (casque et Mp3) au public. Pendant la balade, lorsque l’écoute est terminée, les casques sont retirés pour favoriser au maximum les interactions. C’est en cela que le projet d’Urbanisa’son est une réussite : il utilise les bienfaits du numérique sans se déconnecter du réel. Il nous montre qu’une médiation culturelle numérique réussie se situe à la frontière entre ces deux notions.
Le choix du numérique dans le cas de ce type de projet peut s’avérer avantageux sous divers aspects mais il peut également révéler des faiblesses liées aux limites technologiques que celui-ci peut engendrer. Dans le cadre du festival TraverSons Bruxelles, nous observons son utilisation favorable car il est facilement réappropriable et permet, en ce sens, de visibiliser les propos et histoires de personnes peu entendues dans la société. Par ailleurs, les sujets abordés lors des balades ne sont habituellement pas traités dans l’espace public et ils peuvent être confrontés à une certaine résistance. Néanmoins, UrbanisaSon prend le parti de casser les codes pour laisser la place au questionnement et transformer une réflexion autour d’une situation vécue par un groupe de personnes au sein d’un même quartier.
La mise à disposition de matériel durant le festival permet l’inclusivité afin d’assurer l’accès au plus grand nombre. Toutefois, en dehors de celui-ci, les participant·e·s doivent se munir individuellement d’outils numériques tels qu’un smartphone, des écouteurs, du réseau mobile suffisant pour télécharger les témoignages ou encore d’une application installée au préalable. De multiples freins liés à la fracture tant numérique qu’économique qui peuvent limiter l’accès à certain·e·s potentiel·le·s auditeur·ice·s. Néanmoins, la présence ininterrompue des podcasts sur une plateforme de distribution audio en ligne telle que Soundcloud reste une force et garantit l’accessibilité du contenu à un large public. Il permet aussi aux histoires de traverser les frontières et les années.

Balade collective "pas à pas" lors du festival TraverSons Bruxelles. Facebook Urbanisa'son (2022).
Balade collective "pas à pas" lors du festival TraverSons Bruxelles. Facebook Urbanisa'son (2022).

Balade collective "pas à pas" lors du festival TraverSons Bruxelles. Facebook Urbanisa'son (2022)
Balade collective "pas à pas" lors du festival TraverSons Bruxelles. Facebook Urbanisa'son (2022)

Stickers à scanner afin faciliter l'écoute et le parcours lors des balades "pas à pas" . Facebook Urbanisa'son (2022).
Stickers à scanner afin faciliter l'écoute et le parcours lors des balades "pas à pas" . Facebook Urbanisa'son (2022).

Balade collective "pas à pas" lors du festival TraverSons Bruxelles. Facebook Urbanisa'son (2022)
Balade collective "pas à pas" lors du festival TraverSons Bruxelles. Facebook Urbanisa'son (2022)
En dehors des balades organisées dans le cadre du festival, les citoyen·ne·s sont libres de réaliser ces balades de manière autonome. Même si cette méthode ne jouit pas des avantages de la rencontre que permet le festival, cette expérience individuelle peut s'avérer positive pour celleux qui affectionnent se promener en solitaire. Le podcast laisse donc le choix aux auditeur·ice·s et permet la pérennité des histoires. Enfin, en étant un médium à la portée de tou·te·s, il permet aussi l’accès à un contenu culturel pour celleux qui ne trouvent pas leur place dans les institutions culturelles dites “traditionnelles”.

Guidé·e·s par les voix de Kadiatou, Nedal, Badraldin, Nourhan, Perna et Mariama, nous arrivons à la fin de notre balade dans Saint-Josse. Nous avons découvert un autre visage de cette commune par laquelle nous passons si souvent. Mais surtout, nous avons pu nous mettre à la place de personnes que nous ne connaissions pas. En s’arrêtant devant le refuge pour sans-papiers, nous nous sommes senti·e·s indigné·e·s de la lenteur des procédures administratives d’accueil en Belgique. Plus tard, en marchant vers la Place Saint-Josse, nous avons pris du plaisir à nous perdre dans des petites échoppes tenues par des personnes aux origines variées. Cette balade sonore est un partage, une invitation à se mettre à la place de l’autre. C’est aussi un voyage, entre Saint-Josse, la Syrie et la Guinée. Comme si, grâce au numérique, les frontières n’existaient plus.
Aftermovie du festival TraverSons Bruxelles. Facebook Urbanisa'son (2022)
Aftermovie du festival TraverSons Bruxelles. Facebook Urbanisa'son (2022)
Remerciements à Émilie Bergilez pour le temps qu'elle nous a accordé.
