TUSSY X ROSWEIN : L’UNION POUR L’ÉLÉVATION

Depuis leur rencontre au détour de sessions OB League jusqu'à leur projet commun ALYA, Tussy et Roswein ont bâti une complicité artistique patiente et sincère. Entre Bruxelles, Mons et Liège, les deux rappeurs incarnent cette génération belge qui n’a pas attendu de validation pour créer, tester, performer. Pour eux, l’élévation n’est pas qu’un concept mais une trajectoire collective, alimentée par les concerts, les rencontres, les échecs et… quelques petits jaunes. Rencontre avec les deux artistes à l’occasion de la sortie de leur nouveau projet.
CH1 : LA FORMATION
Comment l’histoire a-t-elle commencé ? Est-ce que c’est grâce à l’OB League ou juste parce que ça accrochait musicalement ?
Roswein : C'était bien avant. On faisait tous un peu de la musique dans notre coin. Dans l'OB League, il y avait aussi Wel’Done et Ban Le Hoodizé. Et chez eux ils faisaient pas mal d'open mic. Moi de mon côté je faisais du son dans ma chambre. Pour Tussy, j'imagine que c'était plus ou moins pareil aussi.
Tussy : Oui c'est ça. On a tous commencé de nos côtés. On ne vient même pas tous de Bruxelles. On s'est rencontrés via François Gilles qui a OB Music aujourd'hui avec Fanny. Après ça, tout s’est suivi et on a formé un groupe.
Ban Le Hoodizé , le photographe Hugo Rios, plein de têtes de partout se sont liées au projet. Est-ce qu'il y avait aussi cette envie de ne pas être qu'un collectif de Bruxelles et représenter un peu la francophonie belge par l’OB League ?
T : Ce n'était pas volontaire. Ça s'est fait vraiment hyper naturellement. En fait on n'y a pas pensé. Mais c'est vrai que quand on s'est retrouvé dans cette situation, on s'est rendus compte qu'il y avait une personne de Namur, une autre de Mons... Donc oui, on était un peu partout.
R : Même au niveau des concerts, on en a fait partout. Donc naturellement on est venu à un truc en mode : “OK ! Belgique représente !”.
On vous a vu à Liège ou encore au Café Centrale à Bruxelles. On a presque l’impression que les gens vous ont retenu pour vos live. Est-ce que vous partagez ce point de vue ?
R : On avait déjà nos projets personnels. On avait commencé à sortir des petits sons. C'est sûr que quand il y avait des concerts où on se réunissait tous, il y avait une énergie en plus. On y a tous pris goût et c’est une bonne manière de se perfectionner pour le futur.
T : Aussi, dès qu’il y avait un concert, tout le reste débarquait. Du coup ça faisait cinq fois plus de concerts.
L’OB League, c’est un collectif qui existe maintenant depuis 4 ou 5 ans voire plus. Aujourd’hui, qu’est-ce que le collectif et OB Music représentent pour vous .
R : Pour moi OB League en tant que collectif, ça représente un peu Poudlard. L'école des sorciers. On commençait tous à ce moment-là. Avec OB League, on a eu énormément d'opportunités, que ce soit des concerts ou même des interviews. On a fait plein de choses qu’on ne connaissait pas avant et on a pu beaucoup bouger en Belgique.
T : On a fait nos armes, ce qui nous permet aujourd’hui de plus nous plonger dans nos projets persos.
Là maintenant vous êtes sortis de Poudlard ?
Nous sommes des sorciers aguerris.
Vous êtes des aurores.
R : Exactement.
"Si quelqu'un sort son projet au mauvais moment ou qu’il a juste fait une mauvaise communication, personne ne va écouter. Il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte."


CH2 : PARTOUT EN FRANCOPHONIE
On remarque que vous avez chacun un univers très différent. Comment faites-vous pour quand même y trouver une synergie ?
R : C'est la musique, c'est la passion mec.
T : C'est à force de tenter des trucs, à force de bosser ensemble, on sait comment l'autre fonctionne. Ça crée des univers supplémentaires. Même avant de se connaître, je suis sûr qu’on avait des points communs.
Justement, votre premier feat officiel, ça remonte à 2021 sur ton projet Un jour sans fin avec le morceau Vie rapide.
R : Je suis sur MOOD aussi. Les gens ne savent pas.
T : C'est vrai qu’en 2020 sur le premier EP, il y a une espèce d'intro où t'as tout OB League qui parle, mais personne n'est cité. On reconnaît bien sa voix dans le bail. Donc première collaboration en 2020 sur Mood mais de manière officielle sur Vie rapide en 2021.
Aujourd’hui, Vie rapide date. Est-ce que vous aviez déjà pensé à cette époque à faire un projet commun ?
T: Non, même pas. Ce son-là, on l'a fait à distance. Puis il y a eu Super Hero quand j’étais plutôt sur Mons. Je me suis rapproché petit à petit de BX et là, on se captait pour faire du son. Maintenant que je suis ici, c'est beaucoup plus simple.
Les collaborations, c’est pas nouveau entre vous. À quel moment vous vous êtes dit que vous feriez un projet commun ou plus que juste des feats ?
R : Je pense qu'on était posé avec Tussy, on faisait des soirées et on parlait beaucoup. à un moment l'idée a pop. Je me suis dit que ce serait intéressant de venir avec un projet comme ça. Surtout qu'il y avait Wel’Done et Ban Le Hoodizé aussi qui avaient leur délire. Donc on s'est dit qu’il fallait qu'on fasse une petite connexion Roswein x Tussy. Et on a laissé un peu les idées germer vers août.
T: En fait, on a commencé à se capter très régulièrement pour faire du son entre 2023 et 2024. On a fait plein de sons comme ça qu'on n'a pas du tout sorti. Mais on ne se disait pas encore qu'on allait faire un projet ensemble. On s’est juste dit : “On fait du son, on essaie de débloquer des skills et on se fait kiffer.”.
Vous avez aussi fait une collaboration avec Hobiwan, sur Fast Food. On suppose que ça s’est fait parce que vous étiez capté pour la MILKTAPE ?
R : Ouais c'est ça, j'avais fait le son sur la MILKTAPE. Il est venu vers nous, il avait envoyé un petit vocal sur Instagram. Puis il nous a envoyé la prod et nous a dit : “Allez-y ! Faites ce que vous voulez dessus !”.
Est-ce que c'est essentiel de sortir de Bruxelles ?
R : Ouais carrément, c'est hyper important. Surtout le 4000 ! J’aime trop Liège.
La MILKTAPE, les collaborations à Liège,...Quel est votre relation avec le rap liégeois ?
T : On a fait quand même pas mal de trucs sur Liège, on a fait des concerts au Reflektor, au Kultura,....
Vous avez tous fait les deux la draft des Ardentes ? (compétition ouverte aux jeunes artistes belges pour performer en live au festival)
T : Ouais, la draft des Ardentes. Dès qu'on va à Liège, on sait bien que c'est pour la musique et il y a un peu ce truc où on voit des rappeurs partout dans la ville.
R : Ça met dans un mood. Il y a aussi Don Fuego qui est chaud. On voit des gars comme Absolem, ONHA, Golgoth,...il y a trop d’artistes talentueux.
Kaer de Starflam nous a dit dans un entretien que 2015 marquait l’apparition d’un cycle pour le rap belge, une sorte d’âge d’or. En vous citant parmi d’autres têtes plus actuelles, il nous a dit que 2025 allait être l’année d’un autre cycle, d’une autre génération dorée pour notre rap. Est-ce que vous croyez en cette idée ?
T : En soi, je pense qu'il faut y être pour le savoir parce que ça dépend aussi des artistes, du travail qu'ils vont fournir et de comment le public va se prendre la chose. C’est un concours de circonstances. Si quelqu'un sort son projet au mauvais moment ou qu’il a juste fait une mauvaise communication, personne ne va écouter. Il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte. Mais, on a envie d’y croire, de penser qu’il y a une nouvelle vague.
R : Le cycle, je le sens bien. Ça fait quelques années que je le dis, les gars, il va se passer un truc. c'est vrai que ça commence tout doucement à bouger, surtout à Liège. Mais il ne faut pas sous-estimer BX les gars. Depuis quelques années, ça s'est un peu calmé, surtout avec le Covid. Il y a des artistes qui ont été un peu shut down. Je pense à des Frenetik, des Geeeko, des types comme ça. Il y a énormément de personnes qui travaillent leur shit dans leur cave et font des bails bien originaux.
Tu as d'autres noms que Frenetik ou Geeeko ? Des gens un peu plus niches, peut-être ?
R : Il y a Andras Johnson. Je ne sais pas si c'est son blase actuelle, parce qu'il a changé énormément de blases. Il y a Wel’Done, évidemment. Il y a Lusty, Gloomy aussi. Il n’y a pas que du rap à BX.
T : Quelqu’un que je me suis pris il n'y a pas très longtemps et que je ne connaissais pas, c’est Gutti. Je ne l'avais jamais vraiment écouté. Mais j'ai l'impression qu'il se passe un truc pour lui.
On vous a stalk sur Soundcloud et on a regardé ce que vous aviez aimé. Pour Roswein, on a vu que c’était beaucoup plus américain avec du Lil Yachty. Chez Tussy, il y en avait aussi mais on a vu du web7, du Billie Eilish et d’autres. Quelles sont vos influences ?
T : Moi, je me suis pris web7 au moment où il avait ses boucles avec ses cheveux verts. Quand il a fait le son Stan Lee, c'était un gros banger. Il y avait aussi la grosse vague parisienne vers 2016-2017 avec des artistes comme Lord Esperanza, Nelick, Youv’dee, tous ces types-là.
J’ai écouté du Josman, c'est de là que j'ai commencé à écrire tout ça. Mais l'américain, j'ai un peu écouté parce que c'est important aussi d’avoir les classiques. Quand j’écoute du rap US, fatalement, je ne comprends pas tout mais j’arrive à vibe et c’est très cool.
R : De mon côté justement c’est très ricains…J’adore tout ce qui est auto-tuné et tordu. Ces derniers temps, j’écoute beaucoup tout ce qui est un peu rage, ça me touche énormément. Des artistes comme Yeat, Playboy Carti, j'en mets beaucoup quand je suis en voiture. Mais, quand j'ai commencé, c'était beaucoup plus du français-récit. Damso ou Laylow m’ont beaucoup inspiré par exemple. PNL aussi que j’écoute encore aujourd’hui comparé à Damso. Même si de base, je reste fort rap US.
"Tu avances avec ceux qui te portent parce que tu n'es pas tout seul. Tout seul, tu n'avances pas."


CH3 : ALYA, LA SYNERGIE
Parlons un peu plus d’ALYA. Vu que le titre de votre projet se traduit par élévation. Pour faire référence à un rappeur bien connu, est-ce qu’il y a un parallèle à la Vie Augmente ?
T : Non, non, c'est pas pareil. On est dans un truc où on parle de dépassement de soi et on invite aussi les gens à aller jusqu'au bout des choses. “L’élévation” c’est aussi une manière à nous de dire que tout le monde apprend, grandit et évolue.
R : C'est ça, c'est le gamin qui a des rêves et veut briller de ouf. Isha, c'est plus sa vie, c'est un tonton, et c'est pas pareil. Même s’il m'a bien matrixé pendant une période. Il a vraiment ce flow bien bruxellois
C’est Hugo Rios qui est derrière la cover. Vous pouvez un peu nous expliquer comment elle s’est faite ?
T : Comment ? On a sauté sur des matelas plein de fois. On a fait une réunion aux Halles Saint-Géry avec Hugo pour voir vers quelle direction on voulait que ça aille. On est arrivé avec des petites idées qu’on avait vu sur Pinterest avec des images où les personnages sont brillants et flottants. Il nous a dit : “Ne m’en dites pas plus, Tussy ou Roswein, ramenez un matelas au Studio 124 et on fait le truc”.
R : Le lendemain, on avait des courbatures de fou. On montait sur une espèce de chaise comme ça pour se jeter sur le matelas. La technicité de la photo était qu’il ne fallait pas voir qu’on tombe.
T : Quand tu es dans une situation comme ça, le réflexe de ton corps, c'est qu'il met le coude pour ne pas se faire mal. Le matelas était super fin, c’était un peu dangereux. On a pris des chaises, des coussins du studio et on en a éparpillé un peu partout. Comme quand t’es gamin et que tu joues à la bagarre, pour ne pas te faire mal, tu créais ton périmètre de sécu’.
Dans votre groupe, vous n’êtes pas les seuls à vous élever. Il y a aussi Hugo Rios (photographe) et Tachii (beatmaker). Cette élévation vous la voyez aussi de manière collective ?
R : Oui, c'est naturel. Je pense que ça ne doit même pas se poser comme question. Tu avances avec ceux qui te portent parce que tu n'es pas tout seul. Tout seul, tu n'avances pas.
Avec toute cette équipe qui gravite autour de vous, comment pouvez-vous décrire la connexion qui s’est faite sur ALYA ?
R : Les petites fourmis qui sont sur leurs petits claviers, dossiers, donnent des idées et fixent les réunions.
T : Oui, je pense que vraiment chacun a ses skills et puis on arrive à faire un bon condensé de tout pour que ça roule.
Est-ce qu'il y a une petite anecdote sur le projet que vous pouvez nous raconter ?
R : La conception, frère.
T : Oui, la conception est folle. C'est vrai qu'on s'est bien marrés. En gros, on s'est mis dans une maison pendant une semaine et on était un peu hors du temps dans le sens où on commençait un son à 23h, on le terminait à 5h, puis on dormait et on recommençait un autre. Parfois, on se disait qu’on allait manger et il était juste 3h du matin.
R : Tu as oublié les éléments croustillants.
T : C'est vrai que je suis resté soft.
R : Tu es resté trop soft. Les gens vont se dire : “ça va encore”. Mais comme il a dit, on a pris une semaine. Les sons, on les a faits les deux derniers jours. On a calé pendant 4 jours car on ne savait pas trop ce qu’on faisait. On avait déjà essayé de faire des petits sons et des tests entre nous deux. Mais là, c’est différent parce qu’on devait sortir de l’endroit avec un projet. Il fallait que ce soit cohérent, qu’il y ait un fil rouge, un nom avec du fond. Donc, pendant 3 ou 4 jours, on était juste dans le canapé. J’abuse peut-être un peu mais on y était beaucoup. On avait des idées, puis ça n’allait pas, donc on en refaisait et après on s’est rendu compte qu’on bloquait juste.
Quand ça devenait trop dur, c’est là qu’on se disait : “OK ! On va boire un verre !”. On est donc partis au bar pour prendre, comme à notre habitude, un petit jaune. Ça passe bien entre collègues.
T : Ça débloque…
R : Et après, comme sur des roulettes. Le petit jaune a tout débloqué.
T : Ce petit verre, c’est ce qui nous a permis de lâcher prise, on avait trouvé de l’inspiration après.
R : Forcément, tu lâches prise. Après, on a réussi à maintenir ce truc sans pour autant tomber dans le vice. Pas à 100%. C'est vrai qu'on aurait pu acheter une bouteille, mais on ne l'a pas fait. On se déplaçait quand même pour aller consommer cet alcool alors qu’on aurait dû rester sur nos chaises et en boire chez nous.
R : Parfois, on prenait la bouteille au Delhaize. Quand je venais chez toi, on prenait la bouteille et après, on finissait tout mal et on ne faisait même pas de son. Les Ricards dosés, mon pote, il n’y avait pas d’eau là-dedans.
Est-ce que on peut s'attendre à un autre projet commun ?
R : Je ne crois pas. Ce n'est pas un truc calculé. Le projet c’est juste nous qui nous nous sommes dits “ce serait cool qu’on fasse un truc ensemble” et s’il doit y avoir un deuxième…
T : Tout reste encore possible, même si c'est dans 3-4 ans.
Vous organisez une release party à Paris, est-ce que la prochaine élévation c’est de toucher la France ?
R : La prochaine, je ne dirais pas, mais je pense que ça fait partie justement de cette élévation-ci. Après, un Palais 12, ça ferait plaisir, même si c’est la 12ème élévation.
T : Non, des bonnes petites salles en France, ça serait lourd. Une Boule Noire, La Maroquinerie, des petits trucs comme ça.
C'est ça qu'on peut vous souhaiter pour 2025 ?
R : Ouais, de fou. C'est de toucher un peu plus la France, en tout cas les Français qui kiffent la musique.
On espère pour vous que ce sera bon pour eux. Merci beaucoup, les gars !
Tussy et Roswein : Merci à vous !