Loveni
Entretien avec un bon gamin

Loveni : Entretien avec un bon gamin
Démarche chaloupée, on ne pouvait pas le louper. Loveni était en tête d'affiche du Warm-up des Ardentes à Liège. Installé depuis quatre ans à Bruxelles, le rappeur issu du collectif Bon Gamin avec Ichon et Myth Syzer , a sorti son troisième album “Mad Lov" le 7 juin dernier. Rencontre avec celui qu’on appelait Loveni avant Jul.
Est-ce que c'est la première fois que tu viens à Liège ?
Loveni: Non, ce n'est pas ma première fois. J'habite en Belgique depuis 4 ans, donc j'ai eu l'occasion de venir quelques fois depuis. J'ai aussi joué ici au Microfestival et au Reflektor avec Bon Gamin si je ne dis pas de bêtises.
Ça te fait plaisir que tu sois invité pour le Warm Up des Ardentes ?
L: Franchement, ça fait hyper plaisir. Quand j'ai sorti In Love il y a trois ans, c'était en plein Covid, donc je n'ai pas pu tourner avec. Là, je viens de sortir un nouvel album et j'ai fait un concert de release à Paris qui s'est hyper bien passé. Le but, c'est d'aller montrer ça à un maximum de gens. Quand on m'a contacté pour venir jouer, j'étais hyper content.
Est-ce que c’est un moyen pour toi de toucher une plus grosse communauté belge ?
L: C'est difficile pour moi de le mesurer. En revanche dans Mad Lov, il y a un son avec Krisy c'est une grosse figure du rap belge aujourd'hui. L'album a été produit par Daïko, qui est belge également. Je suis en Belgique donc forcément, maintenant que je suis là, essayons d'avoir le public le plus large.
Pourtant t’as quand même déjà une petite communauté belge, ça te fait quoi de te dire qu’il y en a qui ont grandi aussi avec la culture rap Bon Gamin ?
L: Depuis que je suis en Belgique, j'ai rencontré des gens à des événements qui m'ont dit qu’ils m'avaient beaucoup écouté quand ils étaient plus jeunes. Ça fait trop plaisir de me rendre compte que la musique a pu dépasser les frontières. Avec Internet, la musique s'exporte plus facilement. Très tôt, avec Bon Gamin, on a connecté avec des rappeurs francophones et pas uniquement français. Il y a 10 ans, on connectait avec Rowjay (rappeur québecois) ou encore Krisy. Il n'y a pas de raison qu'un rappeur français soit, entre guillemets, plus prestigieux ou meilleur qu'un autre. Ça a toujours été notre vision des choses.
Au dela du public, il y a même des rappeurs belges actuels comme Absolem, en 2015, 2016, avait mis en bio Facebook « démarche chaloupée, si t’habites à Paris, tu ne peux pas me louper » (Bon Gamin ft. Joke – Louper). C’est une certaine reconnaissance également.
L: Abso, je le connais bien. On a eu l'occasion de se rencontrer à Bruxelles plusieurs fois. Quand je suis arrivé à Bruxelles, j'ai fait des petits jobs et j'ai bossé dans une boutique qui s'appelle RARE. Abso était pote avec les patrons de la boutique. On n'a pas encore fait de son ensemble mais c'est un bête de gars. Why not ? Je suis toujours ouvert aux collaborations.
Il y a eu 3 ans entre In Love et Mad Lov, dans Guess Who's Back, tu parles de ton retour, où est-ce que t’étais passé pendant tout ce temps ? Tu voulais avoir le mood de Bruxelles avant de sortir un nouvel album ?
L: Au moment où j'ai sorti In Love, j'étais en transition entre Paris et Bruxelles. Guess Who's Back, pour moi, c'est un peu un classique du rap d'avoir un morceau marquant un retour dans sa discographie. J'aime ça dans les albums de personnes qui sortent leur deuxième ou troisième album. C'est un petit clin d'œil. En plus, je dis une phrase d'Assassin de Rockin’ Squat: “je suis de retour comme si je n'étais jamais parti”. C'était clairement le mood dans lequel je me sentais quand j'ai commencé l'album.
Comment tu as rencontré Daïko, qui a produit tout ton album ? Comment vous avez commencé à créer l’album?
L: Daiko, je l'ai rencontré par Nancy Khadra, qui est présente sur le dernier morceau d'In Love et beaucoup sur Mad Lov. Il l’avait contacté pour lui envoyer des prods. On faisait beaucoup de musique ensemble et elle me les fait écouter. Il y avait une prod qui s'appelait Roy, je me dis qu’il a appelé ça pour Roy Ayers (Jazzman américain), j’en suis grand fan. Quand j’ai cliqué, ça m’a clairement fait penser à lui. J'ai capté qu’on allait pouvoir faire quelque chose ensemble. On a fait une première session avec Nancy puis, on s'est recapté petit à petit et ça s'est fait naturellement. Je n'avais plus trop d'équipe avec qui bosser à ce moment-là. Je repartais un peu de zéro et c'était une chouette rencontre humaine et musicale. On ne s'est pas dit qu’on allait faire un album, on a fait des morceaux. Et au bout d'un moment, on avait assez pour en faire un.
Tu parles de Bruxelles, en tout cas des gens que tu y as rencontré. Est-ce que le fait d'avoir donné Mad Lov comme nom d’album, c'est parce que tu es tombé Mad Lov de Bruxelles ?
L: J'aimerais bien répondre oui pour flatter le public. Mais non, je n'ai pas appelé mon album pour ça. C'était vraiment dans la continuité de mes projets. Le projet d'avant s'appelait In Love. C'était un anagramme pour Loveni. J'ai eu l'idée de Mad Lov parce que je trouvais ça cool comme nom. Je voulais faire une continuité avec une nuit avec un bon gamin, mon premier projet, tu tombes amoureux avec In Love et tu finis par être fou amoureux avec Mad Lov. C'était pour boucler une boucle.
Est-ce que Bruxelles t'a fait faire de la musique autrement ou en tout cas t'a fait voir la musique autrement qu'à Paris?
L: Elle m'a fait voir la musique autrement par les rencontres. J'ai bossé avec plein de gens dont John Parm. Je suis un gros kiffeur de musique électronique. John, c'est une référence là-dedans à Bruxelles. Il m'a appris pas mal de choses. Puis en partant de ma ville, un endroit dans lequel j’ai été depuis toujours. C'est forcément inspirant. Le fait que j'avance dans l'âge fait que je suis plus conscient de ce que j'ai envie de faire, arriver dans un territoire neutre où je ne connais pas les gens, où je redémarre à zéro, ça a eu un impact sur ma musique.
Est-ce que le passage à la trentaine, t'as fait te dire qu’il fallait faire un tri ou en tout cas, qu'il y ait des doutes qui soient revenus ?
L: Ce n'est pas aussi conscientisé que ça. En tout cas, le passage à la trentaine, par rapport à ma place dans la musique, c'est vrai que tu te poses des questions. Je commence à gagner un peu d'argent avec la musique, mais je dépense plus d'argent que j'en gagne vraiment. Je suis toujours obligé de me débrouiller avec les DJ sets et le merchandising. Je ne fais pas partie des gens qui font de l'argent avec les streams. C'est vrai qu'à un moment, tu arrives à 30 ans et tu te dis est-ce que je continue ? Mais j'ai toujours aimé faire de la musique, d'aller dans d’autres villes et de rencontrer de nouvelles personnes. Ça m'a fait prendre conscience que ce que j'aime, c'est faire de la musique tout simplement. Quand tu es un artiste et spécialement un artiste rap, tu parles des choses qui font partie de ta vie sur le moment et ce sont des petits questionnements que j'ai pu avoir, mais je vis très bien ma trentaine et il y a tellement d'exemples de rappeurs qui ont passé la trentaine qui sont encore pertinents.
Dans Mood Swing, tu dis : 'Moi, je ne suis pas un rappeur de l'industrie'. Pour toi, c'est quoi un rappeur de l'industrie ?
L: Ce que je voulais dire par là, c’est que dans ma manière de créer de la musique, je suis plus dans de l'artisanat que de l’industriel, c'est-à-dire avec peu de moyens. Je n'ai personne qui me dit : “tu dois faire tant”. L'argent, c'est moi qui l'investis. À chaque fois que je discute avec des gens, tout le monde kiffe ce que je fais. Mais un truc ressort à chaque fois : “On ne sait pas comment te placer”. Peut-être qu'inconsciemment, j'ai choisi mon nom de scène Loveni par rapport à ça. Ce sont des questions qui sont de l'ordre de l'industrie. J'ai voulu dire cette phrase par rapport au fait qu’elle ne sache pas me classer. Et d'un côté, tant mieux.
Est-ce que du coup, pour toi, indé, ça rime avec liberté ?
L: Indé, ça rime avec liberté, bien sûr. Après, je ne connais pas l'expérience d'être en maison de disques donc, je ne peux pas vraiment parler de ça. Aujourd'hui, je pense quand même que l’industrie a pas mal changé. Être indé, c'est à la fois une liberté artistique mais ce sont aussi des responsabilités. Je n'ai pas été formé forcément au business, je commence à comprendre de plus en plus comment ça marche. On est dans une époque où tu peux te débrouiller en tant qu’indépendant. Si t’es un peu malin, il y a le retour du physique, des vinyles, etc. Même si c'est peu de quantité, tu peux gagner la même chose qu'un artiste qui est en maison de disque et qui ne marche pas de ouf. Sauf que l'artiste en maison de disques, il n'aura rien à payer. Peut-être qu'un jour, je signerai en maison de disques avec une équipe qui prend mon projet à cœur et j'aurai des moyens. Je ne suis pas anti-industrie. C'est juste que ça ne s'est jamais présenté à moi. Je viens d'une époque où la musique, elle était gratuite (piratage, internet…) il n'y avait même pas moyen de faire de l'argent avec la musique. Aujourd'hui, il y a le streaming et d'autres formes d'économies qui sont en train de se créer. Il faut juste s'adapter. C'est une bonne période pour être indépendant.
Article écrit par Théo Delmeire.
Photos prises par Pierre Lewy.