Mammouth a failli finir un marathon

"Ça fait des mois que je me prépare pour ce marathon. Alimentation saine, entraînements réguliers, j’ai mis la totale. Hier encore, je me suis autorisé une petite course de préparation un peu spéciale."

Il est 11h ce samedi. A la veille de la 27e édition du marathon de Bruxelles, une cinquantaine de personnes se sont rassemblées sur le site du Cinquantenaire, chaussures de running aux pieds, et prêtes à en découdre malgré le froid d’un matin d’automne. Après une photo de groupe et un cri d’encouragement, les courageux du jour se sont lancés pour parcourir un tracé d’un peu plus de cinq kilomètres, celui de la Brussels Beer Run.

Le concept? 5,6 kilomètres de course en groupe, à un rythme détendu, avant de partager un verre au Belgian Beer Café, situé à quelques pas seulement de la ligne de départ du marathon. Cette course fait office de préparation au marathon pour certains ou de moment de détente pour d’autres. “Ca fait deux ans que la course est organisée. Le principe consiste avant tout à rencontrer des gens, puis à rester boire une bière. Courir n’est pas l’objectif en soi, la priorité est vraiment le contact social”, confie Thomas Maenhout , organisateur de la Brussels Beer Run.

"C’est l’heure du départ pour le marathon de Bruxelles, direction le box numéro 6. Aujourd’hui, mon objectif, c'est de finir les 42 kilomètres en moins de 4h15."

Les marathons des grandes villes européennes comme Paris, Berlin et donc Bruxelles, réunissent des dizaines de milliers de coureurs. Parmi eux, des amateurs venus surtout pour réussir un challenge personnel ou pour se la raconter au prochain dîner de famille. Mais on y retrouve également des compétiteurs parfois connus du petit monde de la course-à-pieds. L’écart des temps d’arrivée entre les favoris et les derniers arrivants peut alors parfois dépasser les deux heures de temps.

Afin de garantir à chacun une entame de course dans de bonnes conditions, neufs boxs de départs sont répartis sur le site du Cinquantenaire. Les participants qui estiment leurs temps de courses inférieurs à 2h59 partiront en premier. Les huit autres sas de départs proposent les temps d’effort suivants : 3h15/3h30/3h45/3h59/4h15/4h30/4h45/5h00. Sur le site internet de la course, il est indiqué que les organisateurs misent sur le fairplay des participants pour que ces derniers choisissent un box en adéquation avec leur potentiel. Intégrer le premier box est toutefois soumis à certaines conditions : soit être un coureur professionnel, soit avoir fait un bon chrono l’an passé, ou bien présenter un justificatif de performance. Une manière de procéder commune à de nombreux marathons. Alors non, il aurait été impossible de partir aux côtés Michael Chege ou Willem Van Schuerbeeck, premier et deuxième de la course, en étant un simple coureur amateur.

"Kilomètre 0 : 9h, la course est sur le point de commencer. En attendant, on s’observe. Les coureurs se toisent du coin de l’œil. Je tourne les talons et apprécie la beauté du site. L’immense arc du Cinquantenaire est immanquable."

Le parc du Cinquantenaire est situé au cœur de la commune d'Etterbeek. Créé pour le cinquantième anniversaire de l'indépendance belge, cet espace de près de 30 hectares est facilement reconnaissable grâce aux imposantes Arches du monument.

L'esplanade devant le parc accueille de nombreux événements, comme ce week-end le départ du Marathon mais aussi les 20 kilomètres de Bruxelles en mai. Au cours de l'année, la fête de l'environnement, celle du vélo mais aussi différents festivals animent ce grand espace vert. Aujourd'hui, 15000 personnes y sont entassées, prêtes à avaler 42, 2 km.

"Kilomètre 2 : Plus que 40 :Je me demande si je vais pas prendre le métro pour avancer un peu plus vite, j’ai déjà les jambes lourdes."

Pour calculer les performances des milliers de participants présents, deux puces sont installées sur les dossards des coureurs. Leur fonctionnement est relativement simple: quatre tapis sont répartis sur le parcours (le premier au dixième kilomètre, le second à la moitié du tracé, le troisième au trentième kilomètre, et le dernier à l’arrivée), et le temps des coureurs est automatiquement enregistré dans le système lorsque ces derniers traversent l’un d’eux.

Ces puces électroniques sont des plus fiables, et sont produites localement par la firme Chrono Race qui appartient à l’organisateur Golazo. “Elles sont très faciles d’utilisation, et la marge d’erreur est de moins d’une seconde. Lorsque vous calculez le temps de 15.000 candidats à la fois, c’est impressionnant”, insiste son porte-parole Thomas Huyberechts.

Cette évolution technologique s'avère être un réel confort pour les organisateurs. “Il y avait deux possibilités pour enregistrer les temps de parcours. A l’ancienne tout d’abord, avec des officiels placés sur le parcours, qui notaient les temps à la main, avec un chronomètre juste à côté. Il faut préciser qu’il n’y avait pas autant de participants à cette époque, car on utilise déjà les puces depuis le début des années nonante”, sourit Thomas Huyberechts. “La deuxième possibilité consistait à mettre un petit ticket derrière le dossard, que les candidats complétaient eux-mêmes. A l’arrivée, on les déchirait et on notait directement les résultats dessus. Ce procédé est toujours utilisé aujourd’hui, dans de plus petites courses.”

Avec l’apparition de ces puces électroniques, une question se pose: est-il toujours envisageable de tricher lors d’un marathon? Et la réponse est oui, car les puces ne sont pas géolocalisées, et fonctionnent simplement au contact des tapis spécifiques. Mais tricher devient de plus en plus compliqué, grâce aux analyses d’après-course, comme l’explique Thomas Huyberechts: “Si l’on constate, aux temps intermédiaires enregistrés par les tapis, qu’un coureur était 5000e après dix kilomètres, et qu’il obtient le 20e temps sur les onze bornes suivantes, on peut analyser sa performance après la course, grâce à des caméras placées sur le parcours.” Un petit saut dans le métro pour gagner du temps peut donc encore être imaginable, mais on vous le déconseille fortement.

"Kilomètre 4 : Il faut que je me bouge, cette année, on pourra voir les temps de tous les coureurs. L’année passée, je serais passé inaperçu."

La publicité des résultats, un casse-tête résolu

Cette édition marque le retour de l’affichage des résultats de chaque coureur. Jusqu’à l’année dernière, ça avait toujours été le cas. Mais en 2018, il était uniquement possible d’accéder à ses propres performances. Chacun pouvait dès lors trouver ses propres résultats via le site internet de l’événement, mais il n’était pas possible d’accéder à un classement de l’épreuve. La raison? La législation européenne sur le RGPD, qui protège les données à caractères personnelles. “On a eu quelques problèmes avec la législation RGPD l’année passée. Nous étions l’une des premières courses depuis que cette nouvelle loi était passée, et nous avions eu plusieurs demandes pour que les résultats ne soient pas rendus publics”, explique Thomas Huyberechts, membre de l’organisation du marathon. “C’était très délicat pour nous car il y a beaucoup de diplomates qui travaillent pour les institutions européennes qui participent à la course.”

Cette année, les organisateurs ont trouvé la solution pour revenir à la formule précédente. “Nous avons simplement changé les conditions générales qui doivent être acceptées par les candidats. Les résultats seront donc à nouveau publiés dans leur ensemble”, conclu Thomas Huyberechts.

"Kilomètre 6 :  Je joue encore la victoire. J’espère inscrire mon nom aux côtés des plus grands, comme Dirk Vanderherten, qui avait réussi à remporter ce marathon trois fois de suite dans les années 80. "

"Kilomètre 10 : Fin du rêve. Je me suis emballé, les favoris sont déjà loin. Parmi eux, le Kenyan Michael Chege ou encore le belge Willem Van Schuerbeeck."

Aux alentours de 11h15, le nom du lauréat de ce marathon 2019 devrait être connu, si l’on se base sur les temps réalisés habituellement lors de cette course. Qui succèdera au coureur Kenyan Stephen Kiplagat, qui avait remporté la précédente édition en 2h11 minutes et 44 secondes. Un autre de ses compatriotes peut être ? À en croire les spécialistes, deux des trois favoris pour ce dimanche viennent du Kenya. Il faut dire que la capitale belge réussit plutôt bien aux coureurs kenyans. Sur les 14 dernières éditions, dans la catégorie masculine du marathon, 12 ont été remportées par des Kenyans.

"Kilomètre 12 : J’avoue que je visais le record du monde, mais mon échec était couru d’avance. "

Le meilleur temps du marathon de Bruxelles est de 2h10’59. Ce temps qui reste exceptionnel est quand même loin du record du monde du marathon de 2h01’39 réalisé à Berlin.

Comment expliquer ces différences ? Les sept derniers records du monde du marathon ont été signés dans la capitale allemande et ce n’est pas un hasard. Le marathon y est quasi plat avec ses 37 mètres de dénivelé global.


Notre capitale est, elle, loin d’être plate. Le parcours du marathon de Bruxelles enregistre 400 m de dénivelé, soit environ 11 fois plus qu’à Bruxelles. Il est pratiquement impossible de tracer un parcours de marathon facile. Le tracé emprunte plusieurs montées, à l’image de l’avenue Louise ou d’une portion du Bois de la Cambre. Mais la pente la plus ardue reste celle de l‘avenue de Tervuren qui mine les coureurs dans le final.


Les altitudes restent peu élevées mais les nombreuses variations de relief sur le parcours bruxellois fatigue les sportifs. Contrairement à d’autres disciplines comme le vélo, descendre un parcours en courant ne permet pas de se reposer. Ce paysage bruxellois rendra difficile, voire impossible, d’effacer le record mondial du marathon dans la capitale européenne.

"Kilomètre 14 : Je viens de me faire dépasser par un coureur pieds nus. C’est mauvais signe. Je doute de ma performance. J'avais pourtant investi dans une paire dernier cri. "

"Kilomètre 16 : 90 € pour se faire humilier. L’année prochaine, c’est sans moi."

"Kilomètre 20 : Je viens de passer un ravitaillement. Regain d’énergie. J’aperçois à nouveau mon meneur d’allure."

Facilement reconnaissables, les meneurs d'allure dictent un rythme régulier pour les coureurs grâce à deux drapeaux qui indiquent le temps qu’ils vont réaliser. Ils sont évidemment des coureurs aguerris qui savent garder un même rythme sur une distance de marathon. Ils sont forcément suivis durant l’ensemble de la course par une horde de coureurs ayant pour objectif de réaliser un chrono bien précis.

Pour d’autres, dépasser ou se faire dépasser par ces meneurs d’allure pendant la course est une indication sur leur performance.

"Kilomètre 22 : J’ai retrouvé le rythme. En revanche, Chantal, avec qui j’avais commencé la course, est loin derrière à présent."

1967. C’est l’année durant laquelle une femme a, pour la première fois, couru un marathon officiel. Kathrine Switzer, étudiante en journalisme, a entendu parler de Roberta Gibb qui, en avril 1966, a intégré le peloton du marathon de Boston après être sortie du buisson où elle se cachait. Un an plus tard, c’est avec un dossard officiel que Switzer franchira les 42,195 kilomètres de l’épreuve. Et non sans mal.

La jeune coureuse de 20 ans s’inscrit en utilisant ses initiales, comme elle le faisait toujours, assure-t- elle : K. V. Switzer. Cette subtilité lui permet d’obtenir son dossard, le numéro 261, et l’assurance qu’elle pourra prendre le départ. Peu avant le début de la course, les murmures commencent, mais ils sont positifs dans l’ensemble. Les encouragements sont nombreux. La présence d’une femme ne dérange pas le peloton, qui s’élance enfin sur le parcours vallonné sillonnant les rues de Boston.

"Il fallait que je termine la course"

Ce moment de quiétude ne dure pas. "Sors de ma course et donne-moi ton numéro ! (Get the hell out of my race and give me those numbers !)", vocifère Jock Semple, le directeur de la course, en courant vers Switzer et en tentant de lui arracher son dossard raconte Jean-Philippe Lefief dans son livre “la folle histoire du trail”. "J’ai tout de suite eu la pensée que si je ne terminais pas la course, tout le monde dirait que les femmes ne sont pas capables de courir un marathon. Il fallait que je termine la course", explique plus tard Kathrine à Radio Canada. En quatre heures et vingt minutes, elle devient la première marathonienne officielle de Boston.

Six ans après avoir accueilli dans son peloton la première femme, le marathon de Boston s'ouvre au deuxième sexe. Le symbole est important puisque ce marathon, créé en 1897, est le plus vieux du monde. Influencée par les Etats-Unis, l'Europe ouvre dans la foulée ses épreuves d’endurance aux femmes. Berlin inaugure le bal en 1974, suivie par Madrid en 1978 et par Stockholm en 1979. Les marathoniennes devront attendre 1984 pour se battre pour de l'or olympique. Une force animait toutes ces coureuses : "nous voulions démontrer que c’était la bonne décision de permettre aux femmes de courir cette distance, aucune étude scientifique ne pouvait contredire cela"; s’exprime Gabriela Andersen-Schiess juste après la première édition du marathon féminin des Jeux olympiques de 1984 à Los Angeles.

Différences physionomiques

Kathrine Switzer, Roberta Gibb et toutes les autres femmes qui réussissent à parcourir les fameux 42,195 km, l'ont prouvé au fil des années : l'endurance n'est pas une affaire de sexe. Pourtant, les femmes courent moins rapidement que les hommes, comment expliquer cela ? Jean-Pierre Castiaux, médecin du sport aux cliniques Saint-Luc éclaircit : "l’écart est physiologique. Il y a une différence de base au niveau de la présence musculaire, de la consommation maximale d’oxygène, au niveau hormonal et sanguin et au niveau de la puissance. C’est génétique. L’homme a des avantages que l’on ne saura jamais compenser. Les techniques d’entraînement peuvent un peu faire diminuer cet écart mais il y a une différence qu’on ne pourra, physiologiquement, jamais rattraper." Cependant, plus la distance parcourue est grande et plus les efforts sont intenses, plus l’écart entre hommes et femmes se rétrécit. "Il y a une faculté de récupération des graisses qui est plus grande chez les femmes et quand on consomme des graisses en endurance de fond, c’est intéressant", précise le
docteur Castiaux.